Trans Mountain : quand deux provinces entrent en guerre
Il n’est pas facile de construire ou d’augmenter la capacité des pipelines au Canada. L’automne dernier, la compagnie TransCanada a abandonné son projet de pipeline Énergie Est au Québec et au Nouveau-Brunswick d’une valeur de près de 16 milliards $ devant les embûches et les délais qui s’allongeaient. Plus tôt, au printemps, Ottawa avait passé à la trappe le projet Northern Gateway, dans l’Ouest, d’une valeur de 8 milliards $. Cependant, il y a aussi des succès, dont celui de Trans Mountain, un projet qui a reçu l’aval du gouvernement fédéral et qui semblait jusqu’à tout récemment être sur le point d’aboutir. Mais la politique en Colombie-Britannique s’en est mêlée et risque maintenant de faire déraper un autre projet majeur, important pour l’économie canadienne.
Depuis plusieurs mois, les autorités de la municipalité de Burnaby, en Colombie-Britannique, refusent de délivrer les permis essentiels aux constructions d’infrastructures nécessaires au projet Trans Mountain. Plus récemment, le gouvernement de la province, une coalition de néodémocrates et de verts, a annoncé son intention de démarrer un nouveau processus d’évaluation environnementale, ce qui allongerait la date de complétion du projet et ajoute une autre couche d’incertitude.
Kinder Morgan a réagi en indiquant qu’elle allait peut-être renoncer au projet Trans Mountain. Il n’en fallait pas plus pour que la première ministre albertaine, Rachel Notley, monte aux barricades. Mme Notley a d’abord suspendu les négociations sur l’achat d’électricité à la Colombie-Britannique. La semaine dernière, elle a mis fin aux importations de vin de sa voisine. Bref, une guerre commerciale, qui ne profite à personne, se profile peut-être à l’horizon.
Comment tuer l’investissement
Ce conflit soulève deux problèmes. Premièrement, celui de la primauté du droit. La meilleure façon de tuer l’investissement privé, une des clés de la croissance du niveau de vie, est de permettre à l’arbitraire politique de décider au cas par cas quels projets seront permis. Si n’importe quel changement de gouvernement peut mener à une hausse importante des coûts et des délais pour les entreprises, celles-ci iront investir ailleurs, où on leur fait moins de misères. Deuxièmement, celui du partage constitutionnel des responsabilités. Lorsqu’un gouvernement provincial et le gouvernement fédéral ne s’entendent pas sur un sujet à compétence partagée, la Constitution canadienne dit que le gouvernement fédéral a le dernier mot. Or, il a approuvé le projet. Notons que cette approbation n’est venue qu’après de longues évaluations environnementales.
Le projet Trans Mountain est important pour plusieurs raisons. Le Canada possède les troisièmes plus importantes réserves pétrolières au monde. Le monde a besoin de pétrole et en aura encore besoin pour des décennies. Le pétrole canadien est populaire non seulement auprès des Canadiens, mais aussi chez nos partenaires économiques. Le Canada produit et transporte son pétrole d’une façon sécuritaire et écologique (en fait, bien plus que la plupart des autres pays ne le font). Enfin, l’industrie pétrolière et gazière est responsable de plus de 500 000 emplois directs et indirects au pays.
Malheureusement, pendant qu’aux États-Unis un vent de déréglementation et de baisses d’impôts sur les entreprises contribue à un rebond notable des investissements, au Canada, des querelles stériles les font déjà ralentir. Les investissements dans les infrastructures de transport pétrolier du pays sont cruciaux : sans eux, la croissance de cette industrie se poursuivra ailleurs et d’autres en profiteront. Présentement, l’absence de débouchés pour la production canadienne est responsable d’un escompte de 25 à 30 $ du baril de pétrole albertain par rapport au West Texas Intermediate (WTI).
Pourrait-on imaginer que la région de Québec empêche Hydro-Québec de faire passer des lignes de transport d’électricité de la Côte-Nord vers Montréal? Cela soulèverait un tollé, à juste titre. C’est pourtant ce qui se passe actuellement dans l’Ouest. Le fait que le conflit concerne deux provinces ne change rien. Nous faisons tous partie d’un même pays.
Le gouvernement fédéral a d’ailleurs annoncé cette semaine une grande réforme des processus d’évaluation sera bientôt mis en place. La ministre fédérale de l’Environnement, Catherine McKenna, a d’ailleurs réaffirmé à cette occasion que son gouvernement appuyait toujours le projet Trans Mountain, qu’il avait déjà été approuvé et qu’il l’aurait sans doute été sous le nouveau processus d’évaluation. Espérons que ce même processus ne serve pas à bloquer des futurs projets. Les premiers échos à cet effet ne sont guère rassurants.
Plus que jamais, le Canada doit lancer un signal fort indiquant que le pays accueille à bras ouverts les investissements responsables dans le secteur de l’énergie. Et rappeler aux provinces que cela s’applique à elles aussi.
Germain Belzile est chercheur associé senior à l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.
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