Investissement : l’imprudence canadienne
Les investissements dans le secteur énergétique canadien sont fragilisés depuis quelques années. Premièrement, comme partout dans le monde, par le bas prix du pétrole. Ensuite, par une réglementation de plus en plus légère aux États-Unis, qui rend notre contexte national de moins en moins attrayant. Enfin, par un problème canadien d’acceptabilité sociale mal comprise, qui augmente les coûts et l’incertitude entourant les nouveaux projets. À ces trois facteurs s’ajoute un problème supplémentaire qui gagne en importance : la possibilité que les impôts des entreprises diminuent fortement aux États-Unis.
Sur le plan de la fiscalité, le Canada reste pour le moment concurrentiel en ce qui a trait aux activités pétrolières et gazières, surtout lorsqu’on considère l’Alberta, mais moins qu’il y paraît de prime abord. En effet, même si les taux statutaires combinés d’impôts sur les profits des sociétés sont beaucoup plus élevés aux États-Unis qu’au Canada, à 38,9 % contre 26,7 %, la complexité du régime fiscal fédéral américain et sa panoplie de déductions fiscales viennent combler en bonne partie l’écart.
Une réforme majeure de la fiscalité des entreprises de la part du gouvernement américain changerait toutefois passablement la donne. Déjà, le Canada fait généralement piètre figure en ce qui a trait à la facilité d’y faire des affaires lorsqu’on le compare aux États-Unis. Selon la Banque mondiale, le Canada occupe le 18e rang dans le monde, tandis que les États-Unis sont en 6e place.
Or, une réforme majeure est justement débattue au Congrès américain. Selon la proposition, le taux statutaire fédéral de l’impôt des entreprises passerait de 35 % à 20 %. Ceci ferait passer le taux combiné américain sous le taux canadien. Malgré l’incertitude qui pèse toujours sur les réformes envisagées par l’administration Trump, la direction choisie par le gouvernement américain est claire : le fardeau fiscal devrait d’une façon ou d’une autre diminuer au cours des prochaines années, notamment celui des entreprises.
Si cela se produit et que le Canada ne réagit pas, on peut s’attendre à ce que les États-Unis attirent d’immenses sommes en investissements dans les prochaines décennies. Déjà, la perception de nombreux investisseurs semble évoluer en défaveur de l’Alberta et du Canada en général.
Toute diminution d’impôt aux États-Unis aurait pour effet de détériorer notre position relative. Bien que le gouvernement canadien ait réalisé d’importants efforts de réduction du fardeau fiscal des entreprises ces dernières années, ce nouveau risque doit être pris au sérieux. La meilleure façon de préserver un certain avantage consiste à mettre en œuvre une réduction additionnelle de l’impôt.
Une avenue de réforme particulièrement efficace consisterait à adopter un taux d’impôt proportionnel pour l’ensemble des entreprises, au lieu de réserver un taux plus bas pour les PME et d’appliquer un taux plus élevé aux grandes entreprises, comme c’est le cas actuellement (respectivement 10,5 % et 15 %, le premier passant à 10 % en janvier).
En outre, l’existence actuelle de deux taux différents introduit une incitation défavorable à la croissance des entreprises. En appliquant un taux proportionnel aux revenus imposables des entreprises, peu importe leur taille, le gouvernement fédéral améliorerait l’efficacité du régime fiscal des entreprises tout en diminuant leur fardeau fiscal total.
Du côté des particuliers, une réduction canadienne de l’impôt sur les gains en capital pourrait aider à contrer les effets de la réduction des impôts sur le revenu des particuliers et des entreprises qui s’en vient aux États-Unis. Comme l’écrit mon collègue Mathieu Bédard, « Tout comme les taxes sur le vice entraînent une diminution du comportement ciblé, l’impôt sur le gain en capital nuit à l’accumulation de capital, un des fondements de toute croissance économique. En fait, la plupart des politiques gouvernementales dont l’objectif est d’augmenter la croissance économique visent avant tout à hausser l’offre de capital ».
Il est important que les investissements augmentent au pays. Comme je le rappelais dans un billet précédent, notre niveau de vie est déterminé presque entièrement, à long terme, par notre productivité. Et la productivité augmente lorsqu’on accumule du capital physique, par l’investissement. En somme, il serait très imprudent de laisser le Canada devenir moins attractif pour les investisseurs.
Germain Belzile est chercheur associé senior à l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.
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