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Textes d'opinion

A-t-on besoin de l’État pour se nourrir?

Vers 1850, le grand économiste français Frédéric Bastiat s'émerveillait de voir que le million d'habitants de Paris ne mouraient pas de faim, même s'ils ne produisaient presque pas de nourriture. Des fermiers des 80 départements du pays approvisionnaient en effet la métropole, sans même se concerter, notait-il.

Bastiat se demandait avec inquiétude ce qui se passerait « si un ministre s'avisait de substituer à cette puissance les combinaisons de son génie, quelque supérieur qu'on le suppose ? S'il imaginait de soumettre à sa direction suprême ce prodigieux mécanisme, d'en réunir tous les ressorts en ses mains, de décider par qui, où, comment, à quelles conditions chaque chose doit être produite, transportée, échangée et consommée ? ».

Eh bien, 170 ans plus tard, les Canadiens le sauront peut-être bientôt puisque le gouvernement fédéral a lancé cette semaine une série de consultations visant à faire étrangement la même chose, soit « aborder les enjeux liés à la production, à la transformation, à la distribution et à la consommation des aliments ». Cela en vue d'élaborer une politique alimentaire pour le Canada.

Les intervenants du milieu sont conviés à Ottawa pour un « sommet » sur cette politique alimentaire qui se tiendra les 22 et 23 juin 2017. Tous les Canadiens sont également invités à participer à l'exercice en répondant à un sondage en ligne.

A-t-on progressé?

On a souvent l'impression que nous avons progressé sur tous les plans depuis deux siècles. Sur le plan économique, il est clair que tout s'est énormément amélioré : la technologie, la productivité, la prospérité et le niveau de vie sont infiniment plus élevés qu'ils l'étaient du temps de Bastiat. Mais a-t-on vraiment progressé sur le plan de la compréhension de ces phénomènes économiques?

Frédéric Bastiat avait certainement compris les causes fondamentales de ce qu'il observait. C'était, selon lui, le libre marché qui rendait possible ce miracle de nourrir Paris. C'est-à-dire un système fondé sur la coopération volontaire, l'échange, la libre détermination des prix et le respect de la propriété et des contrats.

Aucune planification ou encouragement de l'État n'étaient nécessaires pour s'assurer que des fermiers de toutes les régions de France voient leur intérêt à vendre de la nourriture aux Parisiens, en échange des biens manufacturés et des services que ceux-ci produisaient. Bastiat était bien conscient qu'au contraire, « l'intervention arbitraire du gouvernement multiplierait à l'infini (l)es souffrances ».

Et pourtant, on semble croire aujourd'hui que si le gouvernement n'intervient pas davantage, les habitants de Montréal, Toronto ou Saskatoon n'auront pas ce qu'il faut pour bien se nourrir.

Parmi les nombreuses pistes de solutions proposées par les documents de consultation, il faudrait en effet « soutenir les nouveaux agriculteurs pour les aider à établir des fermes prospères » et « soutenir le secteur agricole et le secteur alimentaire pour qu'ils innovent et qu'ils s'adaptent à l'évolution des conditions de production et aux demandes du marché ».

Les agriculteurs ne font-ils pas déjà cela, de plus en plus efficacement, depuis des siècles, sans l'aide de bureaucrates ?

L'initiative d'Ottawa est par ailleurs bien plus ambitieuse que celle imaginée par Bastiat, qui supposait qu'un seul ministre réunirait en ses mains tous les ressorts de l'alimentation de la nation. Le gouvernement nous informe en effet que ce sont pas moins de 16 ministères et organismes qui participent à l'élaboration de cette politique :

Agriculture et agroalimentaire Canada
Affaires autochtones et du Nord Canada
Affaires mondiales Canada
Agence canadienne d'inspection des aliments
Agence canadienne de développement économique du Nord
Agence de la santé publique du Canada
Bureau du conseil privé
Emploi et Développement social Canada
Environnement et changement climatique Canada
Finances Canada
Innovation, sciences et développement économique
Instituts de recherche en santé du Canada
Pêches et océans Canada
Santé Canada
Statistique Canada
Transports Canada

L'histoire et la science économique nous enseignent hors de tout doute que nous n'avons pas besoin de l'État pour être capables de nous nourrir. Nous pouvons très bien manger sans « politique alimentaire nationale ».

On peut se demander si ce n'est pas plutôt l'État qui a besoin d'intervenir dans l'économie pour alimenter son processus législatif et engraisser sa propre machine bureaucratique.

Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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