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Textes d'opinion

Un Nobel d’économie qui réinvente la roue

Le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel a cette année été décerné à Oliver Hart de Harvard et Bengt Holmström du MIT pour leurs travaux sur l’analyse économique des contrats. Ils ont donné des outils pour concevoir de meilleurs contrats, qu’il s’agisse de contrats financiers, de contrats de travail ou de propriété. Leur contribution est sans conteste importante, mais elle réinvente un peu la roue du droit des contrats.

Beaucoup de contrats sont simples, implicites et ne requièrent aucun échange de paroles. Jean s’engage à donner sur-le-champ un dollar à Pierre en échange d’une pomme. Pour d’autres contrats, les choses sont plus compliquées. Souvent, il est difficile, voire impossible, de savoir si les deux parties ont respecté leurs engagements et ont fourni des efforts tout au long de l’entente. La théorie des contrats suggère certains types de clauses et dans quel contexte elles peuvent être utiles.

Par exemple, les travaux du professeur Holmström peuvent servir à expliquer pourquoi Uber rémunère ses chauffeurs uniquement en fonction de leur performance. Leurs efforts sont très faciles à constater grâce à l’application. Lorsque le travail est un effort d’équipe et qu’il est plus difficile d’attribuer le succès à une personne en particulier, les employeurs doivent avoir recours à une plus grande part de rémunération fixe. Cette théorie et ses modèles mathématiques donnent des outils pratiques pour récompenser le travail d’équipe sans encourager ses membres à devenir des tire-au-flanc.

Ou encore, comment rédiger le contrat de travail d’un dirigeant d’entreprise sans qu’il soit récompensé pour ne s’être intéressé qu’au court terme ou pour avoir eu de la chance ? Holmström propose certains types d’indicateurs auxquels lier leur rémunération pour décourager les mauvais comportements.

Le professeur Hart est surtout connu pour sa théorie des contrats incomplets. L’avenir est incertain et c’est un exercice futile que de tenter de prévoir toutes les éventualités qui peuvent survenir durant la vie du contrat. Ceux-ci doivent plutôt spécifier qui prend des décisions lorsque les deux parties de l’entente n’arrivent plus à se mettre d’accord.

Par exemple, un prêteur peut vouloir laisser le champ libre au dirigeant de l’entreprise qui lui emprunte de l’argent lorsque celle-ci est en croissance. Mais si l’entreprise s’approche de la détresse financière, il devient rationnel pour son dirigeant de prendre de plus grands risques. S’inspirant des outils développés par Hart, le prêteur peut insérer des clauses où le travail du dirigeant est plus intimement contrôlé au fur et à mesure que l’entreprise s’approche de la faillite, ou qui lui retire même les rênes de l’entreprise.

Ou encore, les travaux de Hart permettent de déterminer qui, dans certaines industries, devrait être propriétaire de la chaîne de production entre par exemple l’innovateur, les employés, ou le distributeur pour que les choses se passent pour le mieux. Puisque l’activité pour laquelle il est le plus difficile de rédiger un contrat est l’innovation, l’innovateur devrait être propriétaire.

Intuitions relativement simples

Beaucoup de ces clauses existaient déjà bien longtemps avant que Hart et Holmström ne développent la théorie des contrats dans les années 1970 et 1980. Bien que leurs modèles mathématiques soient assez complexes pour n’être enseigné qu’à partir de la maîtrise, leurs intuitions restent relativement simples. Le droit juif, grec ancien, romain, ou même le code d’Hammourabi n’ont pas attendu la théorie moderne des contrats pour trouver des solutions à ces problèmes.

Par exemple, les employeurs offrent depuis bien longtemps des rémunérations comprenant des primes à la performance. Les compagnies d’assurances savent depuis bien longtemps qu’il est nécessaire de demander une franchise élevée pour décourager la souscription des mauvais clients.

Bien qu’elle transcende aujourd’hui l’économie et soit utilisée par les politologues et les juristes, la théorie des contrats, avec ses modèles mathématiques avancés, participe de cette tendance en science économique qui se veut réfractaire à l’histoire et aux institutions. On théorise sur les contrats bien souvent sans s’intéresser aux pratiques millénaires de ceux qui passent des contrats. À certains égards, elle réinvente la roue plutôt que de bâtir à partir du corpus de connaissances scientifiques vieux de plus de 2000 ans.

Pour rompre avec cette tradition, l’Académie royale des sciences de Suède aurait par exemple pu aussi remettre le prix reconnaissant la théorie des contrats à Harold Demsetz, de UCLA. Ou encore, elle aurait pu récompenser la théorie de l’entrepreneuriat en saluant les contributions d’Israel Kirzner, un économiste new-yorkais dont le nom revient régulièrement parmi la liste des favoris. L’analyse de ces deux derniers n’a jamais eu recours à la formalisation mathématique à outrance et leurs théories sont aujourd’hui utilisées en science politique, en droit, en sociologie et en management. Puisqu’ils sont tous deux âgés de 86 ans, il ne reste plus beaucoup de temps au comité Nobel pour reconnaître leurs contributions.

Mathieu Bédard est économiste à l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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