Le caribou forestier n’a pas besoin de travailler pour se nourrir
Si vous habitez sur la Côte-Nord, il y a de bonnes chances que vous soyez un travailleur forestier, ou qu'un membre de votre famille, un ami ou un voisin travaille dans cette industrie. C'est la même chose si vous êtes au Saguenay-Lac-Saint-Jean, dans le Nord-du-Québec, en Gaspésie, en Mauricie ou encore en Abitibi-Témiscamingue.
L'industrie forestière a construit les régions du Québec. Par exemple, quand le colonel Robert Rutherford McCormick a proposé la construction d'une usine de papier à Baie-Comeau au début du siècle dernier, la route 138 ne se rendait même pas jusque-là. C'est au moment de l'ouverture de cette usine que le village prend forme. Encore aujourd'hui, l'usine de papier est au cœur de la municipalité, tout près du fleuve et du centre de la ville. Sans la forêt et l'activité économique qu'elle génère, la Côte-Nord, le Saguenay-Lac-Saint-Jean et toutes les autres régions forestières du Québec n'auraient pas connu un tel développement économique, et cela au profit de l'ensemble des Québécois.
Par contre, les activités forestières pourraient fortement diminuer dans un avenir plus ou moins rapproché. Pas parce que nous manquons de forêt; au contraire, le couvert forestier a légèrement augmenté durant les quatre dernières décennies. Non, la raison est que plusieurs groupes environnementaux veulent quasiment expulser l'industrie forestière des forêts du Québec pour les laisser au caribou forestier, une sous-espèce du caribou des bois placée sur la liste des espèces menacées par le gouvernement fédéral.
Personne ne conteste la nécessité de mettre en place des mesures de conservation pour protéger la biodiversité. C'est pourquoi depuis l'ajout du caribou forestier à la liste des espèces menacées, le gouvernement du Québec a fait des efforts considérables pour protéger son habitat en limitant l'accès des entreprises forestières à la forêt publique. D'après les plus récentes estimations, la population de caribous forestiers au Québec atteindrait un peu moins de 7 400 individus. Sur ce lot, environ 2 750 caribous sont dans des secteurs où des activités forestières ont lieu.
Malgré ce petit nombre réparti sur un immense territoire, les groupes environnementaux veulent mettre un cadenas sur la forêt pour potentiellement sauver quelques bêtes, précisément 96 caribous par année. Chaque caribou potentiellement sauvegardé au Québec impliquerait la perte directe de 31 emplois et de 3,8 millions de dollars d'activité économique. Pour l'ensemble de la province, cela pourrait se traduire par 3 000 emplois perdus et 367 millions de dollars de moins en retombées économiques. C'est un sacrifice qui apparaît déraisonnable à plusieurs.
Dans le cadre de mon travail à l'IEDM, je me suis rendu à Baie-Comeau au début du mois de juillet, en pleine crise forestière, pour produire un court documentaire sur l'impact économique qu'aurait un nouveau «Plan caribou» encore plus contraignant que celui déjà en place.
L'objectif de mon travail était de donner la parole aux intervenants du milieu et aux travailleurs, pour comprendre la réalité sur le terrain. Pas la réalité telle que perçue dans les bureaux de Greenpeace, pas celle qu'on imagine dans les bureaux du Forestier en chef à Québec. Mais la réalité de Sylvain, Carl, Judith et Denis, pour ne nommer que ceux-là. Ceux et celles qui travaillent en forêt, qui ont une famille, qui aiment leur job et qui par-dessus tout adorent vivre à proximité de la forêt.
Le caribou forestier n'a pas besoin de travailler pour se nourrir. Pour les bêtes à deux pattes, c'est différent. Mais cette différence ne veut pas dire pour autant qu'il ne faut pas se soucier de l'environnement et de la biodiversité. Cela, les entrepreneurs forestiers, les travailleurs et les gens qui font des activités en forêt l'ont compris depuis très longtemps. Mais il faut croire que pour certains, le caribou forestier a plus de valeur que tout le reste.
Jasmin Guénette est vice-président de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.