Les mythes entourant la gratuité universitaire et la concurrence des Grandes Écoles
Dans un premier billet, je vous présentais comment le système d'enseignement supérieur québécois pourrait s'inspirer du système français. Les manifestations étudiantes du printemps 2012, ce qu'on a appelé le "printemps érable" au Québec, ont fait renaître un débat autour de notre système d'éducation. Le gouvernement proposait alors d'augmenter sur cinq ans les frais de scolarité de 1625 dollars canadiens, pour les faire passer à 3793 dollars canadiens annuellement. Les manifestations étudiantes ont évolué du refus de cette augmentation vers la revendication de la gratuité totale de l'enseignement supérieur.
Le système français pourrait bien à cet égard servir d'inspiration pour le système québécois. J'ai réalisé un court documentaire à ce sujet pour l'Institut économique de Montréal qui sera lancé en septembre.
Ce débat autour du système universitaire a fait émerger certains mythes tenaces. Par exemple, l'idée défendue par les étudiants que la gratuité entraîne nécessairement une plus grande accessibilité à l'enseignement supérieur pour les jeunes issus de classes populaires. Les expériences internationales sont mitigées à ce sujet. Un autre de ces mythes veut qu'une offre de formation échappant aux règles strictes sur les frais de scolarité nuise au système d'études supérieures. Nous proposons d'éclairer ces mythes par l'expérience française.
Par exemple, la Finlande a un système d'études supérieures où il n'y a effectivement pas de frais de scolarité. En contrepartie de cette gratuité totale, les universités finlandaises peuvent sélectionner leurs étudiants à l'entrée, comme c'est le cas au Québec mais contrairement aux universités publiques françaises. Le résultat est un système extrêmement compétitif, où les futurs étudiants font appels à des "écuries" et des "prépas" très dispendieuses pour les entraîner aux simples examens d'admission. Dans le cas de la Finlande, la gratuité scolaire semble coûter cher aux étudiants.
Mais même si l'on fait abstraction de ce problème, la gratuité scolaire est un système profondément inéquitable. Un peu plus de 70% des Québécois ne possèdent aucun diplôme universitaire. Or, le fait d'avoir un diplôme universitaire augmente à la fois le salaire et la stabilité de l'emploi, avec des revenus estimés supérieurs de 53 % pour les hommes et 70% pour les femmes titulaires d'un baccalauréat (l'équivalent de la licence française). La gratuité diffuse donc les coûts de l'enseignement supérieur à une population moins riche, alors que les bienfaits sont concentrés chez ceux qui ont reçu cette éducation.
Un second mythe concerne le développement parallèle d'établissements, privés ou publics, d'éducation supérieure. L'expérience française est intéressante, parce qu'on y retrouve un réseau de tels établissements, celui des Grandes Écoles. Au Québec, toutes les universités ont recours au même système de financement largement public et les frais de scolarités sont partout les mêmes. Alors que l'un des legs des manifestations étudiantes de 2012 est l'idée qu'une diversité sur le plan des frais de scolarité et des sources de financement entre les différentes universités nuirait au système d'éducation publique, l'expérience française prouve l'inverse. En effet, les Grandes Écoles de commerce par exemple ont stimulé la création de programmes de Master spécialisés au sein des universités.
C'est pourtant une relation que le Québec connait bien. De nombreuses études portant sur le système d'éducation primaire et secondaire au Québec suggèrent que l'existence d'écoles privées à proximité des écoles publiques améliore la qualité de l'enseignement dans les deux types d'établissements. La concurrence entre ces établissements, parce qu'elle rend possible les comparaisons, fournit les clés nécessaires à ce que chacun soit mieux informé sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas en éducation.
De surcroît, l'évolution du système d'études supérieures français suggère que les Grandes Écoles ne sont pas des adversaires des universités publiques, mais plutôt dans une relation où elles se complètent l'une et l'autre. L'étendue des ponts, collaborations, et formations mixtes entre l'université publique et les Grande Écoles laisse croire que ces dernières enrichissent l'offre universitaire. Les craintes des étudiants québécois quant à la menace de différentes formes d'établissement d'enseignements supérieurs ne semblent pas fondées.
L'effet des politiques publiques est parfois difficile à prévoir. Si le but est d'encourager l'accès des étudiants d'origine sociale populaire à l'enseignement supérieur, la gratuité des frais universitaires n'est pas une panacée. Par ailleurs, un système universitaire indépendant du financement public, et libre de fixer lui-même ses frais, n'est pas une menace pour l'université traditionnelle, mais vient enrichir l'offre de formation, et ce même au sein des universités traditionnelles. Sur ces deux plans, la France offre de beaux exemples de ce qui fonctionne dans le domaine de l'enseignement supérieur, et de ce qui ne fonctionne pas comme les étudiants québécois l'auraient espéré.
Jasmin Guénette est vice-président de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.