De dangereuses illusions à propos de la dette
Le chroniqueur de
Francis Vailles, dans sa chronique du 29 mai dernier, fait œuvre utile en analysant la dette du Québec à l’aide d’une mesure plus complète et représentative de la réalité.En effet, lorsqu’on analyse l’endettement du gouvernement du Québec, il faut regarder au-delà de la dette de l’État québécois, au sens strict, et inclure la dette des universités, des municipalités et des autres entités sous sa responsabilité finale. Vu sous cet angle, l’endettement du Québec est en fait encore plus sérieux que ce qui est couramment véhiculé à ce sujet.
Depuis déjà un bon moment, certains groupes, bien organisés, tentent activement de laisser entendre que la dette publique du Québec ne pose pas de véritable problème. Ces efforts, souvent fort habiles en termes communicationnels, ne sont pas innocents. Ils s’inscrivent dans une campagne d’« éducation » visant à rallier l’opinion publique dans le cadre des négociations des conventions collectives des employés de l’État québécois qui ont présentement lieu.
Le véritable message, à peine subtil, se décline ainsi : comme les finances publiques vont en fait bien, il nous faut obtenir de bonnes augmentations.
Mettons d’abord une chose au clair : je ne suis pas de ceux qui croient que nous sommes « au bord de la faillite ». Toutefois, notre dette publique est effectivement très élevée. Peu importe la mesure que l’on utilise, le Québec est la province la plus endettée du Canada.
Le simple fait que nous paierons encore cette année plus de 10 milliards pour le service de la dette devrait nous préoccuper.
Un autre aspect inquiétant est que le Québec a une assiette fiscale (soit la capacité pour l’État de lever de nouveaux impôts pour se financer) qui non seulement est plus sollicitée qu’ailleurs, mais encore déborde de toutes parts.
Le mur
Par ailleurs, une dette publique peut être considérée comme étant élevée (ou non) non seulement en fonction du pourcentage du PIB, mais aussi en fonction de la capacité de payer des contribuables. Autrement dit, une dette publique élevée aux États-Unis ne veut pas dire la même chose qu’une dette publique élevée en Grèce, par exemple. En fait, en ces matières, c’est surtout la perception que les créanciers ont de cette capacité de payer qui est cruciale.
Ce qui m’amène au thème du fameux « mur de la dette », c’est-à-dire le point où la dette publique devient ingérable et nécessite des actions de redressement potentiellement draconiennes et entraîne une baisse significative du niveau de vie de la population. Bien des gens pensent qu’il s’agit de quelque chose de concret et spécifique. Que l’on peut dire : « nous sommes actuellement à 500 mètres du mur », et, ensuite, que nous sommes « à 50 mètres… à 10 mètres… ». Comme s’il s’agissait de quelque chose de linéaire et prévisible. Mais, dans les faits, un État n’atteint le mur de la dette que… lorsqu’il l’atteint !
Je veux dire par là qu’il suffit d’un « buzz » parmi les créanciers allant en ce sens pour que, soudainement, les titres obligataires de l’État en question deviennent significativement moins en demande, à moins d’accorder une sérieuse prime en termes de rendement. Lorsque cela se produit, la débâcle financière anticipée devient en quelque sort une « prophétie qui se réalise d’elle-même ». Plus les créanciers pensent que le remboursement des titres obligataires émis par cet État risque de devenir problématique, plus ce remboursement devient effectivement problématique. Et ainsi de suite.
Agir dès maintenant
Nous pouvons toujours, pour nous réconforter, nous comparer à des pays dont la situation est pire que la nôtre. Mais ce serait nous bercer de dangereuses illusions et faire preuve d’incurie. La Grèce était moins endettée que le Japon lorsque ses déboires ont commencé.
Des États ou des entreprises très endettés peuvent avoir l’air de bien fonctionner pendant un certain temps. Jusqu’à ce que, sans véritable avertissement, la confiance des créditeurs commence à s’effriter. Peut-être ne sommes-nous pas proches du mur de la dette, ou peut-être le sommes-nous, je ne le sais pas, et, à vrai dire, personne ne sait cela avec certitude, mais ce n’est pas une excuse pour éviter de prendre en charge nos finances publiques, et ce, dès maintenant.
Nos gouvernants on produit des déficits à 34 reprises au cours des 40 dernières années ! Chaque fois, on trouvait de bonnes excuses pour justifier d’attendre à plus tard avant d’équilibrer les comptes.
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.