Le cheminement de Mario Vargas Llosa vers le libéralisme classique
Mario Vargas Llosa est l’un des plus grands écrivains de notre époque. Son œuvre romanesque lui a mérité, en 2010, le prix Nobel de littérature.
Il est aussi quelqu’un qui possède la curiosité et le courage intellectuel de changer d’idée face à des preuves qui contredisent ses croyances, comme le démontre un nouveau livret trilingue intitulé Mon itinéraire intellectuel : du marxisme au libéralisme qui vient de paraître dans les librairies du Québec.
Ce livret est basé sur un discours fort émouvant et fascinant que M. Vargas Llosa a prononcé à Montréal l’an dernier dans le cadre d’une conférence organisée par l’IEDM. Il nous a expliqué comment il est d’abord devenu un admirateur de la révolution cubaine de Fidel Castro, comme plusieurs intellectuels d’Amérique latine et d’ailleurs de sa génération. Naturellement, son enthousiasme a commencé à s’estomper un peu quand il a appris qu’il existait des camps de concentration où l’on envoyait des dissidents, des criminels et des homosexuels.
M. Vargas Llosa a rencontré Castro dans les années 1960 en compagnie d’une douzaine d’auteurs pour protester contre ces incarcérations injustes. Il a été impressionné par l’homme, le décrivant comme une force de la nature en raison de sa capacité de parler, avec tellement de dynamisme et un enthousiasme contagieux, pratiquement sans interruption pendant douze heures, ne prenant presque pas de pause pour respirer ou pour laisser la parole à un autre. Il était impressionné, mais pas convaincu.
Il a également visité l’Union soviétique en 1966, ce qui l’a désillusionné encore davantage envers le marxisme. Ce qu’il a découvert, c’est un pays où la distance entre une puissante élite et le commun des mortels était encore plus vaste qu’en Amérique latine, et où une personne avait besoin d’un visa simplement pour voyager d’une ville à l’autre.
En plus de constater les échecs du Cuba et de l’Union soviétique de première main, il a aussi été influencé par les travaux de nombreux penseurs et philosophes. L’opium des intellectuels de Raymond Aron en particulier l’a aidé à comprendre l’attrait séduisant du marxisme pour les écrivains, les artistes et les intellectuels. Il a aussi été marqué par la biographie de Marx écrite par Isaiah Berlin et La société ouverte et ses ennemis de Karl Popper, ainsi que par des œuvres d’autres personnalités marquantes du XXe siècle comme André Gide et George Orwell. Ces auteurs lui ont fait connaitre une autre vision, celle de la tolérance, de la démocratie et de l’importance de la liberté, y compris la liberté économique, si nous voulons réaliser quelque progrès que ce soit.
Il reste malheureusement des intellectuels, dont certains ici au Canada et au Québec, qui refusent de confronter les faits, et qui n’ont pas fait de cheminement intellectuel semblable. Ils continuent de chanter les louanges d’une île prison dans les Caraïbes que des milliers de personnes essayent encore de fuir dans des radeaux improvisés chaque année, un voyage périlleux auquel environ un réfugié sur quatre ne survit pas. Être un fan de l’expérience cubaine quand elle a commencé au début des années 1960, c’est une chose, mais il faut être complètement aveuglé par l’idéologie pour rester un supporter de Castro plus de 50 ans plus tard.
Heureusement, les pays de l’Amérique latine ont en grande partie dépassé le stade des régimes militaires brutaux et corrompus qui étaient encore la norme il y a quelques décennies. C’est pourquoi il est maintenant possible, selon M. Vargas Llosa, d’envisager avec optimisme l’avenir de cette partie du monde. Bien que loin encore de l’idéal, des pays comme le Chili, la Colombie, le Pérou, le Brésil et le Mexique ont adopté la démocratie politique et l’économie de marché, et ils sont maintenant plus libres et prospères pour cette raison. Avec un peu de chance, la dictature cubaine disparaitra bientôt elle aussi, ce qui permettra enfin aux Cubains de vivre en liberté.
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.