Peut-on discuter entre adultes?
Le ministre des Finances, Carlos Leitao, a déclaré dans un récent discours devant l'Association des économistes du Québec que « l'État ne peut pas tout faire ». Le ministre Leitao précise ensuite sa pensée, et devient ainsi plus pertinent, en ajoutant: « Est-ce qu'il faut que ça soit l'État qui livre des services publics? Que ça soit l'État ou quelqu'un d'autre, je pense que c'est secondaire. C'est le service lui-même qui compte. »
Quelques jours plus tard, le ministre a par contre été désavoué par son chef qui insistait pour dire que la sous-traitance des services publics n'est finalement « pas dans [son] plan ». Cela me désole. L'espace d'une journée, le gouvernement Couillard semblait vouloir s'engager dans le début du commencement d'une ébauche préliminaire en vue d'une possible réflexion sur cette question. C'eut été mieux que rien!
Dans les pays Scandinaves ou encore en Europe continentale de l'Ouest, il existe des social-démocraties tout aussi « généreuses » que la nôtre. En fait, dans certains cas, le panier de services couverts par l'État y est même plus large que ce que l'on retrouve au Québec.
Or, dans ces pays, la plupart des services publics sont livrés par une diversité de prestataires, qu'il s'agisse d'entreprises privées à but lucratif, d'organismes privés à but non lucratif ou même de coopératives. Le résultat de cette approche pragmatique est un système qui offre un meilleur rapport qualité-prix ainsi qu'un meilleur accès. Mon institut a réalisé depuis plus d'une décennie de nombreuses études (toutes disponibles gratuitement sur notre site Web) qui appuient avec force détails et de statistiques cette affirmation.
En guise d'exemple, prenons le cas précis de la Suède (puisqu'on nous rabâche toujours les oreilles à propos du fameux « Modèle suédois », dont le Québec s'inspirerait) pour y voir plus clair.
Au début des années 1990, ce pays traversait sa pire crise économique depuis les années 30. Les finances publiques étaient dans une impasse. Les déficits budgétaires se succédaient, année après année, un peu à l'image de la situation actuelle au Québec.
Les dirigeants suédois ont alors entrepris de réformer en profondeur l'État-providence. Ils ont choisi de faire appel à l'entreprenariat et, surtout, de favoriser une véritable concurrence dans la fourniture des services publics. Dans les domaines de la santé, de l'éducation et du transport en commun, entre autres, les services sont maintenant offerts en grande partie par des entreprises privées, et ce, même si le financement demeure presque entièrement public.
L'expertise ainsi développée par les entreprises suédoises dans ces domaines (notamment en santé) est même désormais exportée dans plusieurs autres. Pourquoi diable ne pourrions-nous pas faire pareil?
Par exemple, depuis 1993, l'exploitation du métro, des autobus et des trains de banlieue à Stockholm est confiée à des compagnies privées, suivant un processus d'appels d'offres rigoureux. Cette « gestion déléguée » a eu pour effet de diminuer les coûts de manière importante, économisant l'équivalent de quelques centaines de millions de dollars par année à la société publique de transport. De telles économies ont notamment permis de compenser les coûts d'investissements massifs en infrastructure qui ont été effectués pendant plusieurs années.
Dans le domaine de la santé, le comté de Stockholm a également cédé au secteur privé la gestion de l'Hôpital Saint-Göran, pourtant spécialisé dans le traitement des cas d'urgence. Depuis que la gestion a été confiée au groupe Capio, en 1999, les coûts de fonctionnement de l'hôpital se maintiennent à des niveaux inférieurs à ceux des autres établissements publics de la région de Stockholm. Tous les Suédois peuvent s'y faire traiter, sans discrimination, et les frais sont entièrement couverts par l'assureur public. Qui plus est, Saint-Göran figure parmi les meilleurs hôpitaux de Suède. La durée d'attente moyenne aux urgences s'élève à 42 minutes, comparativement à 57 minutes dans l'ensemble du pays… et à de nombreuses heures dans le cas du Québec!
Bref, on est bien loin de la caricature grossière et simpliste que plusieurs groupes d'intérêts d'ici aiment brandir à propos de l'impact qu'aurait une ouverture au privé dans la livraison des services publics.
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.