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Textes d'opinion

Après les cigarettes, les barres de chocolat?

En 2011, Russell Davies, de l’agence de publicité Ogilvy & Maher, y est allé d’une prédiction osée : les gouvernements, au lieu de bannir carrément certains produits, vont graduellement en interdire la publicité.

Sa prédiction était pour les 25 prochaines années, mais je crains que le temps lui donne raison beaucoup plus tôt que cela.

La tendance des gouvernements à réglementer de plus en plus l’industrie de la publicité, que ce soit pour des raisons de santé publique ou pour protéger le consommateur, est bel et bien enclenchée. Après l’emballage neutre sur les paquets de cigarettes, ne soyez pas surpris si vous apercevez bientôt des sacs de croustilles « neutres » – c’est-à-dire sans logo ou nom de l’entreprise sur le produit – sur les tablettes des épiceries, à côté des tablettes de chocolat, elles aussi dans des emballages drabes et sans logo. Il semble que les esprits prohibitifs ne soient jamais satisfaits, et qu’ils ne craignent pas la pente glissante des réglementations pleines de « bonnes » intentions.

Dans The Guardian, Davies écrivait : « dans 25 ans, je vous parie qu’il y aura beaucoup de produits que nous pourrons acheter, mais dont on ne pourra voir la publicité – les choses qui seront néfastes pour la santé ou l’environnement selon les politiciens, mais que ces derniers n’oseront pas bannir par peur de se mettre trop d’électeurs à dos. Alors nous nous retrouverons avec un tas de produits vendus dans des emballages neutres avec le nom du produit écrit en caractères génériques – comme le gouvernement veut faire pour les cigarettes en ce moment. »

À l’époque, un groupe de professionnels de la santé exigeait même de Ronald McDonald qu’il prenne sa retraite à cause de ses liens étroits avec ce qu’ils considéraient de la malbouffe. Le même groupe avait aussi mené une campagne contre la mascotte d’une compagnie de tabac, Joe Camel, dans les années 1990…

Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises craignent de se retrouver dans la mire des « gendarmes de la morale ». Le fabricant de barres chocolatées Mars, entre autres, s’inquiète de l’effet domino sur le consommateur que pourrait avoir l’introduction de la politique d’emballage neutre au Royaume-Uni. (Rappelons que l’emballage neutre, en plus de l’absence de logo, peut inclure des images explicites et carrément dégoûtantes, comme dans le cas des paquets de cigarettes ici au Canada.)

Selon The Times, la crainte de Mars est que cette politique soit un jour appliquée aux sucreries et au chocolat, dans le but « officiel » de lutter contre l’obésité.

Un avocat de l’entreprise, cité dans l’article, mentionnait qu’une telle mesure pourrait seulement être justifiée si des données empiriques démontraient qu’elle est efficace, et qu’aucune autre solution n’était envisageable. Malheureusement, les groupes de pression bien-pensants et les politiciens ont souvent peu à faire des faits lorsque vient le temps d’introduire une nouvelle réglementation qui fait leur bonheur. Peu importe que la liberté de choix ou les droits de propriété soient bafoués au passage.

Mais surtout, ce type de réglementation, qu’il affecte les cigarettes ou les barres de chocolat, prive les propriétaires de marques de leur propriété intellectuelle, et ce, sans aucune compensation. Cela peut également confondre  le consommateur, autant en ce qui a trait à l’origine d’un produit qu’à sa qualité, et encourage les ventes de produits contrefaits.

Et pourtant, les faits démontrent que les effets de la politique d’emballage neutre sur la santé sont au mieux marginaux, tel que démontré par une étude de santé Canada en 1995. En Australie il y a deux ans, cette politique n’a pas eu les effets escomptés par le gouvernement, au contraire. La consommation totale de tabac a augmenté, et la vente de produits illicites a explosé – heurtant du coup les petits commerçants australiens.

Le tabac est peut-être la première victime de ce qui ressemble à une attaque globale contre les marques et la publicité. D’autres produits jugés « nocifs » pourraient être ciblés dans le futur, comme la malbouffe et l’alcool.

Mais gardons en tête que les marques et la publicité sont des éléments fondamentaux d’un marché concurrentiel. Et en ce moment, les politiciens marchent sur une pente glissante qui pourrait mener au viol de la propriété privée et intellectuelle, et la destruction des marques. Les conséquences économiques devraient être sous-pesées avec soin, et de telles politiques devraient être justifiées par des données empiriques solides, et non seulement de « bonnes » intentions.

Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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