Sables bitumineux albertains – Huston, nous avons un problème!
La romancière Nancy Huston raconte une histoire aux forts accents dramatiques concernant l’industrie canadienne des sables bitumineux (Le Devoir, 17-18 juin) dans sa province natale, l’Alberta. Les lecteurs du Devoir devraient toutefois savoir qu’elle s’appuie pour ce faire sur une série d’affirmations totalement fantaisistes.
Tout d’abord, il est faux de prétendre que « les industries pétrolières en Alberta sont déjà responsables des deux tiers des émissions de gaz à effet de serre de tout le Canada », comme elle l’affirme. Il n’est pas clair à quoi Mme Huston fait référence exactement. S’il s’agit uniquement de l’exploitation des sables bitumineux, qui sont la cible de son article, les données officielles d’Environnement Canada indiquent qu’il s’agit plutôt de 8 % des émissions canadiennes. Cela équivaut à 0,15 % des émissions totales de la planète.
Par ailleurs, les secteurs pétrolier et gazier canadiens dans leur ensemble, non seulement en Alberta mais aussi en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et à Terre-Neuve, de l’exploitation au raffinage en passant par le transport, sont responsables de 23 % des émissions de gaz à effet de serre au Canada. Si on se fiait aux calculs de Mme Huston, ce ratio devrait dépasser 100 % !
Elle n’hésite pas à prétendre que c’est « l’avenir de l’espèce humaine sur Terre qui se joue ici », dans les sables bitumineux. Elle va même jusqu’à comparer cette industrie aux projets d’extermination nazis ou soviétiques. À cause de 0,15 % des émissions planétaires ? Comment peut-elle faire des affirmations aussi grossières ?
En parlant du pipeline Keystone XL, Mme Huston affirme que, si le projet est approuvé par le président américain, « la quantité d’hydrocarbures lâchée dans l’atmosphère fera grimper la température de la Terre d’encore un demi-degré ». Elle dit que « toutes les prévisions sérieuses » sont d’accord avec ce constat, mais n’en mentionne aucune.
En premier lieu, le rejet de Keystone XL ne mettra pas fin à l’exploitation des sables bitumineux. Le lien qu’elle fait entre les deux est donc plutôt étrange. Mais, plus fondamentalement, une étude de deux chercheurs canadiens, dont Andrew Weaver, l’un des rédacteurs principaux de deux rapports de GIEC, indiquait en 2012 que l’impact serait plutôt de 0,03 °C si on brûlait tout le pétrole commercialement récupérable des sables bitumineux.
C’est donc 17 fois moins que ce qu’affirme Nancy Huston, pas pour transporter une partie du pétrole au Texas, mais bien pour le brûler entièrement. Et cela se ferait sur des décennies, ou même des siècles. Quelles sont donc « toutes les prévisions sérieuses » sur lesquelles se base la romancière ?
Mme Huston prétend aussi que les installations de cette industrie « couvrent un territoire grand comme l’État de la Floride ». Cela est aussi absurde que de prétendre que la viticulture couvre 90 % du territoire français au simple fait qu’il y a des vignes un peu partout dans ce pays sauf dans le nord. En réalité, le territoire affecté par les activités minières de surface en Alberta correspond à environ 600 km2, soit la superficie d’une ville moyenne et 250 fois moins que la taille de la Floride. La loi oblige par ailleurs les compagnies pétrolières à remettre les terres en état une fois les activités minières terminées.
Mme Huston laisse aussi entendre qu’il existe des statistiques qui montrent que les autochtones de la région souffrent de cancers provoqués par les déchets de l’industrie. En réalité, une étude du ministère albertain de la Santé rapportait pas plus tard qu’en mars dernier que le taux de cancer y était le même que dans la population en général. Mme Huston fait d’ailleurs toute une série d’affirmations vagues de la sorte, en écrivant « au cas où l’on aurait lu des statistiques… ». Mais où donc prend-elle ses propres statistiques ?
On pourrait contester plusieurs autres affirmations douteuses dans ce texte, qui contient une suite impressionnante d’images caricaturales et condescendantes sur Fort McMurray, une ville jeune qui contraste sans doute avec les beaux quartiers sophistiqués parisiens où Mme Huston a choisi de vivre. Il est toutefois pertinent de savoir que l’industrie des hydrocarbures a l’avantage de contribuer pour près de 6 % au PIB du Canada et de fournir de l’emploi à près de 200 000 personnes.
Personne ne conteste évidemment que cette industrie devra continuer de faire des efforts pour améliorer son bilan environnemental, mais la réalité est bien loin de la fiction racontée par Mme Huston.
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Pierre Desrochers est chercheur associé à l'IEDM. Ils signent ce texte à titre personnel.