Épargnez-vous assez? Alban D’Amours pense que non
Il ne reste que quelques jours pour mettre son épargne à l’abri de l’impôt dans un RÉER. Alors, quoi de plus à propos que de poser la question : vous, épargnez-vous suffisamment? Et plus généralement, les Canadiens épargnent-ils suffisamment pour leur retraite?
Partout au Canada, ces questions ont pris durant la dernière année une importance inégalée. Trois propositions de réformes majeures des régimes publics sont largement discutées. Elles partent toutes d’un même constat, celui de l’insuffisance de l’épargne retraite, et proposent des solutions apparentées puisque toutes basées sur l’épargne obligatoire. Or, les données ne permettent pas de croire que les Canadiens n’épargnent pas assez!
Au Québec, c’est surtout la proposition d’une nouvelle « rente longévité », suggérée par Alban D’Amours, qui a fait l’objet de débats. En taxant les salaires un peu plus, la rente longévité serait versée à tous après 75 ans. Pas 65, mais bien 75! Mais pourquoi accepterions-nous de diminuer notre salaire avec une autre déduction à la source? Y a-t-il vraiment un problème?
Les experts s’inquiètent pour vous
Selon les « experts », les revenus dont vous disposerez lorsque vous prendrez votre retraite à 65 ans doivent absolument être de 60 % des revenus que vous gagniez juste avant de tirer votre révérence du marché du travail. Sinon, c’est la catastrophe! Et comme plusieurs familles des classes moyenne et aisée ne sont pas en voie d’atteindre ce seuil, il faut imposer une solution selon ces mêmes experts!
Sauf que tout le monde n’a pas les mêmes projets à la retraite. Donc tout le monde n’a pas besoin d’arriver précisément à ce seuil de 60%. Par exemple, certains choisissent de voyager plus jeune et d’autres conservent ces projets pour la retraite. Certains épargnent pour se mettre à l’abri de revers financiers qui, s’ils ne se produisent pas, laissent l’épargne disponible pour la retraite. Le choix d’épargner peut aussi répondre au désir de laisser un héritage à ses descendants, alors que d’autres compteront au contraire sur leurs enfants pour assurer leur confort.
Et puis tout le monde ne prend pas sa retraite à 65 ans. En fait, au Québec, l’âge effectif de la retraite est plus près de 60 ans, comme quoi bien des Québécois pensent avoir déjà épargné suffisamment. D’autres continuent de travailler, par envie ou pour avoir de meilleurs revenus. Au Canada, 12 % des gens 65 ans et plus continuent de travailler, ce qui est beaucoup plus élevé qu’il y a dix ans. Bref, les experts sont pas mal dans le champ et je ne suis pas certain qu’ils soient mieux placés que vous et moi pour déterminer combien chacun de nous doit épargner.
La valeur des maisons
La véritable faiblesse méthodologique des analyses des dits experts, c’est que la valeur des maisons n’est pas prise en compte. C’est pourtant une réalité largement répandue, surtout chez les familles des classes moyenne et aisée, que de considérer sa maison comme un investissement. Un récent sondage de SunLife montrait d’ailleurs que 24 % des Canadiens voit dans leur maison la source principale de leurs revenus de retraite. Ce n’est pas toujours idéal, mais c’est une réalité qu’il faut prendre en compte. Sinon, on voit un problème là où il n’en existe pas.
Il faut reconnaître qu’une maison n’est pas l’équivalent d’un REER duquel on retire des sommes à chaque mois. Il existe toutefois des outils financiers comme les hypothèques inversées permettent de libérer une partie de la valeur de sa maison. Des ménages peuvent choisir de vendre leur résidence pour en acheter une plus petite ou pour devenir locataires. Le simple fait de continuer à vivre dans une maison entièrement payée, un ménage retraité profite de l’équivalent d’un service de logement dont la valeur accroît son revenu disponible de 10 % à 15 % en moyenne, selon Statistique Canada. Une telle contribution est susceptible de changer profondément le portrait de la préparation à la retraite des Canadiens.
Seulement pour les maisons des Canadiens, les données indiquent que leur valeur s’élève à plus de 1 800 milliards de dollars. C’est bien plus que les actifs financiers placés dans les REER et les CELI. Pas étonnant que les experts inventent des problèmes : ils ne cherchent pas l’épargne à la bonne place!
Ceci dit, la meilleure manière de faire mentir les oiseaux de malheur, c’est encore de leur donner tort et d’épargner plus consciencieusement. Alors, voilà, vous avez jusqu’au 3 mars!
Youri Chassin est économiste à l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.