Cinq histoires pour Mme Marois
Mme Marois, votre gouvernement a annoncé lundi qu'il comptait dépenser 2 milliards de dollars afin de créer 43 000 emplois d'ici 2017. Permettez-moi de partager avec vous cinq petites histoires qui, je l'espère, élargiront votre perspective quant à ce qu'il faudrait faire (ou ne pas faire) afin de freiner le déclin relatif de l'économie du Québec.
Première histoire. Tous les enfants d'une importante famille d'affaires vivent et travaillent à l'extérieur du Québec, sauf un. Or, la mère de ce dernier me disait l'an passé qu'elle lui a suggéré d'envisager sérieusement de se développer hors du Québec, car « il n'y a pas d'avenir pour lui ici ». Pourtant, je peux vous assurer que cette mère a Montréal « tatouée sur le coeur », plus qu'à peu près n'importe qui que je connais.
Deuxième histoire. Un investisseur que l'on pourrait qualifier de « petit riche », dans le sens où il se qualifie parmi le 1 % des plus riches au Québec, mais de justesse, a investi 18 000$ (soit la totalité de ses épargnes hors REER et hors CELI) dans une petite compagnie minière présente dans le nord-ouest du Québec. Or, l'action végète et a même perdu pas mal de valeur. Et je sais de sources sûres que des investisseurs anglo-australiens ont été découragés d'investir au Québec et de développer cette compagnie à la suite des actions et déclarations d'un membre de votre cabinet.
Troisième histoire. Un spécialiste de l'investissement avait à Montréal un petit bureau de trois employés (tous des gens à très haut revenu) dont la totalité des clients sont de riches familles du Nord-est américain. C'est un anglo-Montréalais issu de la communauté grecque. Comme il me l'avait dit, « je n'ai aucune raison objective d'être au Québec, sauf pour mon attachement à Montréal ». Récemment, il a transféré son bureau en banlieue de New York. Lors de notre dernier lunch, il m'a donné comme principal motif « j'en ai marre de toute cette m… » (mot de 5 lettres). Cette « m… », selon lui, ce sont les interminables débats de société, y compris ceux sur l'indépendance nationale, l'identité et les politiques linguistiques, la crise étudiante et l'incessant discours anticapitaliste.
Quatrième histoire. Une compagnie dans le domaine des services, qui est un leader mondial dans son domaine d'activités et dont 98 % de la clientèle est à l'extérieur du Canada, a son siège social à Montréal depuis une cinquantaine d'années. Elle compte plusieurs dizaines d'employés hautement spécialisés et très bien payés. Or, depuis l'arrivée de votre gouvernement, la totalité de ses dirigeants sont désormais non-résidents au Québec sur le plan fiscal.
D'ailleurs, le président de cette entreprise m'a confié l'été dernier que « notre présence ici est au fond le fruit d'un accident de l'histoire, car le fondateur de la compagnie était un Montréalais. Mais j'ai de plus en plus de pression de la part de mes gens pour corriger cette anomalie historique et déménager nos pénates hors du Québec ». Le président en question est un chrétien originaire du Moyen-Orient.
Cinquième histoire. Un de mes bons amis tentait de démarrer une entreprise dans un domaine ultra spécialisé. Il avait réussi à dénicher des investisseurs potentiels. Des Américains. Ces derniers ont eu le malheur de venir rendre visite à mon ami pour un dîner d'affaires en pleine crise étudiante l'an dernier. Il m'a raconté comment le bruit des hélicoptères de police, l'escouade antiémeute, les cris et tout le tralala ont clairement découragé ses investisseurs. L'entreprise en question n'a jamais vu le jour.
Mon message? Essayer d'aider l'économie, c'est bien. Mais commencer par arrêter de lui nuire, c'est encore mieux. Et ça coûte moins cher.
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.