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Textes d'opinion

Combien vaut Gentilly?

Le débat sur la fermeture de la centrale nucléaire Gentilly se déroule à une vitesse hors du commun. Selon l'information qui circule, le fond de la question se trouve dans le coût très élevé de la réfection. Pour Hydro-Québec, maintenir en activité la centrale demande un investissement de 4,3 milliards de dollars. À ce prix, le coût de produire des kilowatts à Gentilly devient prohibitif pour Hydro-Québec et on comprend la logique économique derrière cette décision. L'autre option est de fermer la centrale pour de bon, ce qui coûtera tout de même 1,8 milliard pour ce que l'on nomme le déclassement. Dans la précipitation, il me semble cependant qu'on oublie une question cruciale : combien vaut Gentilly?

En effet, une centrale électrique, c'est des bâtiments, des équipements, etc. Ces actifs ont une valeur. Si on jette un œil à la page 80 du rapport annuel 2011 d'Hydro-Québec, la valeur comptable nette de Gentilly est établie à 1,2 milliard de dollars. Le déclassement raye d'un coup cet actif des livres comptables de la société d'État. Plus d'un milliard de dollars passés aux pertes qui diminuera le bénéfice d'Hydro-Québec et les dividendes versés au gouvernement.

Il y a peut-être une raison pour laquelle Hydro-Québec se limite à deux scénarios : réfection ou déclassement. Mais n'y a-t-il vraiment que deux options? Ma perspective d'économiste m'incite à envisager un autre scénario qui, étonnamment, ne semble pas pris en compte. Si Hydro-Québec ne peut plus produire d'électricité à Gentilly à un coût qui soit rentable, est-ce que quelqu'un d'autre pourrait le faire?

Hydro-Québec possède désormais une centrale qui ne produit plus d'électricité et qui est en voie de déclassement. Ça ne vaut pas grand-chose pour ses actionnaires indirects, les contribuables Québécois. Par contre, si elle possède une centrale que quelqu'un souhaiterait acheter ou louer pour produire de l'électricité, il y a tout à coup une nouvelle donnée économique à prendre en compte. Envisager une vente ou une location, c'est se donner la possibilité de récupérer la valeur de l'actif.

Il s'agit d'un scénario particulièrement intéressant pour deux raisons au moins. D'une part, ce qui était un poids mort pour Hydro-Québec devient une source de revenu grâce à la vente ou aux revenus de location. D'autre part, Hydro-Québec transfert au moins en partie le risque de dépassement de coûts pour la réfection ainsi que la gestion de la centrale et de ses coûts trop élevés à quelqu'un d'autre.

Cette solution n'est pas originale. En Europe et ailleurs, GDF Suez opère diverses centrales. Plus près de nous, aux États-Unis, Xcel Energy et Exelon exploitent des centrales nucléaires et pourraient être intéressés à reprendre les opérations de Gentilly. Chez notre voisin ontarien, depuis mai 2001, Bruce Power opère des réacteurs et vend l'électricité produite à l'Ontario Power Authority.

Bref, il y a des gens dont c'est le métier d'opérer des centrales nucléaires. Pourquoi ne pas mesurer leur intérêt? Peut-être que personne ne sera intéressé, mais on ne le saura pas si on n'essaie pas. Et pour 1,2 milliard, il me semble que ça peut valoir la peine.

Youri Chassin est économiste à l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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