La chasse aux Anglos
Ce printemps, comme tous les printemps, plusieurs chasseurs québécois vont se lancer aux trousses d'oies blanches, d'ours noirs ou même de dindons sauvages.
Depuis plusieurs mois déjà, la plupart des médias québécois francophones, à divers degrés et de diverses manières, se livrent quant à eux au sport de la « chasse aux Anglos ». Il s'agit d'une activité fort divertissante, qui consiste à déchirer sa chemise et à dénoncer la présence de certains cadres unilingues anglophones dans certaines de nos grandes entreprises, ou à la Caisse de dépôt, par exemple. Une variante peut consister à manifester devant un petit dépanneur indépendant si le propriétaire, un immigrant, ne maîtrise pas assez le français.
Et comme chaque saison, plusieurs chasseurs ratent la cible alors que d'autres se tirent carrément dans le pied.
Ce goût renouvelé pour la chasse aux Anglos découle d'une anxiété accrue (et vraisemblablement exacerbée par l'agenda politique de certains) liée à cette idée que le fait français serait en péril au Québec. Cette anxiété repose, pour l'essentiel, sur une certaine interprétation des statistiques concernant le statut du français sur l'ile de Montréal. Notamment, on évoque le seuil de 50% de francophones à Montréal d'une manière presque fétichiste.
Pourtant, cette tendance s'explique en grande partie par le simple fait que les Québécois francophones – surtout les couples avec jeunes enfants – quittent Montréal pour les couronnes nord et sud dans une proportion plus grande que les anglophones.
Selon des chiffres de Statistique Canada parus en 2010, 17 % des francophones âgés entre 25 et 44 ans ont choisi de migrer entre 2001 et 2006, contre 11 % chez les anglophones et 11 % chez les allophones. Parmi ceux qui ont quitté Montréal, seulement 3 % ont choisi une autre municipalité située sur l'île, contre 26 % pour les anglophones et 11 % pour les allophones.
Bref, les francophones quittent vers l'extérieur de l'île plus que les autres groupes. Ceci n'a rien à voir avec « les méchants Anglais ».
Les «chasseurs d'Anglos» aiment aussi évoquer la hausse du nombre d'allophones disant utiliser une langue autre que le français à la maison. Sauf que, justement, ces allophones ne sont pas des Anglos! D'ailleurs selon l'Office de la langue française (OLF), parmi les allophones qui effectuent une substitution linguistique, plus de la moitié choisissent le français. Je cite l'OLF : « […] les données du recensement de 2006 permettent de constater, pour la première fois, que la proportion de cette population qui a fait une substitution vers le français (51 %) a dépassé la proportion de celle ayant fait une substitution vers l'anglais (49 %), alors que ces taux étaient respectivement de 39 % vers le français et de 60 % vers l'anglais, en 1996. »
À la vue de ces chiffres, ce sont plutôt les Anglos qui devraient s'inquiéter du déclin de leur langue au Québec!
Le plus ironique dans tout cela, c'est que ce sont en général les mêmes cercles politico-idéologiques qui poussent les francophones de classe moyenne hors de Montréal par leurs politiques anti-voitures, leurs taxations excessives, et leurs politiques urbaines qui ont pour effet d'augmenter le coût du pied carré des maisons, qui sont souvent les plus hystériques quant au déclin du français à Montréal.
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.