Utilisation des cotisations syndicales à des fins autres que la négociation des conditions de travail : pour mettre les choses au clair, une fois pour toutes
Article publié en exclusivité sur ce site.
À la suite de récents commentaires et écrits à propos des travaux publiés par l’Institut économique de Montréal (IEDM) au sujet de l’utilisation des cotisations syndicales à des fins autres que la négociation des conditions de travail, certaines clarifications sont nécessaires.
Tout chef ou permanent syndical est libre d’exprimer ses opinions, comme bon lui semble, et ce, sur toute question politique ou socio-économique sur laquelle il voudra bien se prononcer. Nous n’avons jamais prétendu le contraire.
Tout syndicat, en tant qu’organisation privée, peut mener une collecte de fonds volontaire auprès de ses membres afin de mener une campagne sur divers sujets politiques, idéologiques ou socio-économiques. Nous n’avons jamais prétendu le contraire.
Toutefois, notre analyse de ce qui se fait ailleurs dans le monde libre et démocratique (en Europe, en Australie et aux États-Unis) nous mène à la conclusion que les travailleurs syndiqués du Québec ne devraient pas être obligés (le mot « obligé » est crucial) de financer des campagnes politiques ou idéologiques par le biais de la formule Rand. Il ne s’agit pas ici, contrairement à ce qu’ont prétendu certains, de réclamer l’abolition de la formule Rand dans son ensemble, mais bien de restreindre son emploi aux actions des syndicats qui sont directement reliées à la négociation des conditions de travail.
Pourquoi? Tout simplement parce que la justification fondamentale à l’appui de ce mécanisme qui permet un prélèvement automatique et obligatoire des cotisations syndicales à même la paie des salariés n’est pas valable quand il s’agit de telles campagnes. En effet, l’argument du « free-rider » (resquillage) invoqué à l’appui de la formule Rand ne tient plus dans le cas de campagnes politiques ou idéologiques.
On peut illustrer cette affirmation à l’aide d’un exemple simple. Imaginons que Pierre, un travailleur syndiqué FTQ, bénéficie en 2011 d’une généreuse augmentation salariale et d’une bonification à son régime de retraite à la suite du bon travail de négociation réalisé par son syndicat local. Si on le laisse choisir de payer ou non sa cotisation syndicale, il pourrait être tenté de profiter de ces bénéfices tout en laissant aux autres travailleurs de son unité d’accréditation le soin d’assumer les coûts de fonctionnement du syndicat. Un pareil comportement pourrait avoir un effet boule de neige et, ultimement, le syndicat pourrait s’en trouver affaibli et incapable de jouer adéquatement son rôle.
Imaginons maintenant que Pierre soit par ailleurs un militant de l’ADQ et qu’il soit opposé à la souveraineté du Québec. Pourtant, dans le système actuel, et contrairement à ce qui se fait ailleurs dans le monde, rien n’empêche la FTQ d’utiliser ses cotisations pour mener une campagne contre l’ADQ ou encore en appui au Bloc québécois (dans les limites de la loi électorale). Or, l’on voit bien ici que l’argument du « resquillage » n’est nullement applicable ici. En effet, le fait d’être partisan d’un parti politique plutôt que d’un autre, ou d’être en faveur d’une idéologie plutôt que d’une autre ne peut objectivement être considéré comme étant intrinsèquement bon ou mauvais. Le travailleur ayant une opinion politique minoritaire au sein de son syndicat ne « profite » pas indûment du financement de campagnes à l’opposé de sa vision du monde, bien au contraire.
D’autre part, on ne peut sérieusement, en ces matières, faire un parallèle entre les syndicats et les organisations patronales. Ainsi, le Conseil du patronat du Québec ou les Manufacturiers et exportateurs du Québec, par exemple, sont financés par des contributions volontaires de leurs membres. Si ces organismes adoptent une position politique ou idéologique avec laquelle un membre est en désaccord, cette compagnie a tout le loisir de ne pas renouveler son adhésion. Les travailleurs syndiqués du Québec ne bénéficient malheureusement pas d’une telle liberté.
Enfin, certains nous rabâchent les oreilles en prétendant que tout ceci est un faux problème, car les prises de position idéologiques des syndicats découleraient systématiquement d’un processus de consultation impeccable. Ces campagnes joueraient donc d’un vaste consensus au sein de leurs membres. Ou bien cette affirmation est vraie, ou bien elle est fausse. Si elle est vraie, les syndicats n’ont alors absolument rien à craindre d’un changement législatif qui rendrait volontaire le paiement de cette portion de la cotisation syndicale, car leurs membres ne seront que trop heureux de faire une telle contribution. Si elle est fausse, il est alors urgent de changer la loi applicable en cette matière, car cela voudrait dire nombreux travailleurs doivent actuellement financer, obligatoirement, des campagnes idéologiques qu’ils désapprouvent.
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l’Institut économique de Montréal.