L’État-providence en question
L’étude sur l’immigration que Herbert Grubel et Patrick Grady ont produite pour le Fraser Institute risque d’être mal interprétée. Elle établit que l’immigrant moyen reçoit un peu moins en transferts gouvernementaux (donc, il est moins assisté) que le Canadien moyen, mais qu’il paie beaucoup moins en impôts divers, de sorte qu’il est davantage assisté dans un sens net. Soit.
Le premier problème est que cette conclusion ne tient compte que des transferts d’argent parmi les contribuables. La vraie question consiste à se demander comment, au-delà de ces transferts d’argent, les immigrants contribuent à l’efficacité économique, s’ils apportent des avantages économiques nets par la production et l’échange.
Par exemple, les travailleurs issus de l’immigration contribuent de manière positive au secteur de l’agriculture. En effet, compte tenu des salaires relativement bas qui sont offerts, il est difficile de trouver de la main d’œuvre pour travailler dans les champs. Le « service » que rend le nouvel arrivant en travaillant pour une entreprise agricole permet à toute une industrie de se développer et de produire davantage de richesse et d’emplois.
Par conséquent, le salaire gagné et les impôts payés ne sont pas les seules variables dont on doit tenir compte pour juger du coût de l’immigration. Les auteurs n’ont pas posé la question à savoir quel était l’impact économique (pas seulement au plan fiscal) de l’immigration au Canada. Ensuite, il n’y a pas que les immigrants qui reçoivent davantage qu’ils ne paient, c’est aussi le cas de plusieurs Canadiens. Cette redistribution est le propre de l’État-providence et de l’impôt progressif. Invoquer ce système contre les immigrants plutôt que contre l’ensemble des Canadiens assistés est plus difficile à justifier que les auteurs ne l’imaginent. Ce qui m’amène naturellement au deuxième problème de l’étude du Fraser Institute. Si certains immigrants coûtent plus cher qu’ils ne rapportent aux autres contribuables, il ne s’ensuit pas qu’il faille blâmer les immigrants. C’est l’État-providence redistributeur qui est le premier responsable du problème. Malheureusement, certains immigrants et certains Canadiens en profitent un peu trop. Pour être honnête envers les auteurs, ils admettent explicitement, dans un paragraphe crucial de leur étude, que l’État-providence est le grand responsable. Ce point risque cependant de passer inaperçu parmi leurs conclusions plus flamboyantes.
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l’Institut économique de Montréal.