Cadeau empoisonné
Campagne électorale oblige, une promesse n’attend pas l’autre. La rhétorique est séduisante et les nombreux engagements sont savamment choisis de manière à faire vibrer nos cordes les plus sensibles. L’opération de charme des Libéraux coûtera 4,2 milliards de dollars dès la première année (y compris une réserve de contingence de 1,5 milliard de dollars). Quant à celle du NPD, nettement plus onéreuse, elle renferme pour 8,9 milliards de dollars de nouvelles dépenses en 2011-2012 et pour plus de 14 milliards de dollars quatre ans plus tard.
Les chefs libéral et néo-démocrate affirment néanmoins que nous n’avons aucun souci à nous faire quant au financement des mesures annoncées, car ils entendent garnir leurs coffres en haussant l’impôt des sociétés. La première année d’un gouvernementlibéral, M. Ignatieff comptealler chercher près de 3,1 milliards de dollars, soit 74 % de ses besoins financiers, dans les poches des entreprises. Lors de la deuxième année, ces chiffres passeraient à 5,2 milliards de dollars, encore 74 % des fonds nécessaires. De son côté, M. Layton sollicitera les entreprises pour 5,9 milliards de dollars la première année, soit 66 % de ses nouveaux engagements, et pour 9,9 milliards de dollars la quatrième année.
Jusqu’ici, le message semble simple. L’argent existe, il suffirait d’aller le chercher chez ceux qui en ont. La réalité est néanmoins plus complexe.
Au cours du dernier exercice financier, les entreprises ont déboursé pour 30 milliards de dollars au titre de l’impôt des sociétés. Pour que les ambitions de M. Ignatieff seréalisent, il faudrait prélever aux entreprises un supplément équivalant à 10 % de ce montant la première année, et à 17 % au bout de deux ans. Quant à celles de M. Layton, c’est une hausse de 20 % la première année qu’elles exigent. Au bout de quatre ans, les entreprises recevraient une facture fiscale supérieure de 33 % par rapport au niveau actuel.
Les sommes supplémentaires recueillies grâce à l’impôt des sociétés étant substantielles, il faut se demander si les chefs qui les proposent croient sincèrement que les entreprises vont docilement sortir leurs carnets de chèques sans rien modifier à leurs décisions d’affaires. Pensentils vraiment qu’il suffit de demander pour obtenir?
En tant que travailleurs, nous savons bien que si l’impôt sur le revenu augmentait dans de telles proportions, nous réagirions. Certains seraient moins motivés à travailler, d’autres chercheraient à travailler au noir, et d’autres encore migreraient vers des régions fiscalement moins gourmandes. Alors pourquoi acceptons-nous de croire les discours naïfs de ceux qui affirment qu’un plus lourd fardeau fiscal des sociétés sera sans conséquence, surtout dans le contexte où les entreprises sont nettement plus mobiles que les individus?
La réalité, c’est que les changements proposés sont si importants qu’ils diminueront substantiellement la rentabilité des entreprises, ce qui découragera l’investissement et l’entrepreneuriat, en plus de justifier l’exode de sièges sociaux et d’activités de production. En fin de compte, il ne faudra pas être surpris si un taux plus élevé de l’impôt des sociétés ne représente pas la manne espérée. Vers qui nos politiciens se tourneront-ils alors pour financer leurs extravagances électorales? Vers le contribuable, encore et toujours.
Les partis qui se livrent bataille tentent d’acheter nos votes avec des « cadeaux » électoraux. Mais ce sont des cadeaux empoisonnés, car le jour viendra où on nous demandera de payer la facture… ne l’oublions jamais!
Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.