Un pont c’t’un pont
Je conduis ma voiture. Tourne à droite… congestion. On répare la chaussée – une voie fermée. Pas de problème, je connais un détour. Vire à gauche… je «jam» encore. On répare le viaduc – deux voies fermées sur trois. Je commence à pomper. Soudain, une pancarte au bord de la route me rassure: les 12 millions dépensés pour retaper ce viaduc vont «relancer l’économie». Et créer 32,6 emplois!
Seul problème: c’est faux.
À Montréal, Toronto ou Vancouver, c’est pareil. Les chantiers de construction ravagent les rues. Seulement au Québec, on va dépenser près de 3,5 milliards cette année – trois fois plus qu’en 2006. Tout ça pour nous sauver d’une crise économique… déjà terminée, selon la plupart des économistes. Ou à venir, selon les pessimistes.
Vrai, nos routes font pitié. Quand nous en sommes à conduire avec un casque de hockey et des protèges-coudes, ces investissements collectifs sont justifiés. Mais de grâce, qu’on cesse de nous faire croire que ces dépenses vont «relancer» l’économie.
Si crise il y a, comment ces travaux d’infrastructures peuvent-ils absorber les chômeurs? Un ex-gérant de McDo va s’improviser cimentier-applicateur du jour au lendemain? Et si la majorité des chômeurs provient du secteur des services, un comptable va aller fixer les poutres de soutien de l’échangeur Turcot? J’espère que non.
Surtout: rien n’est gratuit en ce bas monde. Chaque dollar que le gouvernement dépense, il doit le piger dans vos poches un jour ou l’autre. Si le pont coûte un million, vous et moi aurons un million de moins à dépenser (pour acheter un vélo, une auto, manger au restaurant, etc.) Chaque emploi créé par la construction d’un pont détruit un emploi ailleurs dans l’économie.
La vérité, c’est qu’au lieu d’investir régulièrement dans l’entretien des ponts et des routes, nos gouvernements ont préféré, au fil des ans, dépenser l’argent ailleurs. C’est connu, on achète plus de votes en offrant une subvention à un bruyant groupe d’intérêt qu’en réparant un tronçon de route à St-Éloigné…
Résultat de cette négligence: aujourd’hui on inonde la province de chantiers.
En plus de faire rager les automobilistes, ce prétendu «plan de relance» risque de créer une surchauffe dans l’industrie de la construction. Les entrepreneurs sont déjà fort occupés. Si on triple la demande de projets, on risque la surenchère. Et les entrepreneurs auront beau jeu de hausser leurs prix lors des appels d’offres. Les contribuables en auront-ils pour leur argent?
Nous voulons tous de belles routes et des ponts qui tiennent. Mais de grâce, cessez de prendre les citoyens pour des idiots. Un pont n’est pas un plan de relance. C’est un pont.
David Descôteaux est chercheur à l’Institut économique de Montréal.