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Textes d'opinion

Boom ou bulle?

Depuis quelques semaines, c’est la confusion. Face à la hausse fulgurante du prix des maisons, les Québécois sont nombreux à avancer l’hypothèse d’une bulle. En revanche, la classe politique et de nombreux experts au service des grandes banques prétendent qu’en dépit des apparences, la crainte est non fondée, qu’il n’y a pas de bulle… mais qu’il faut néanmoins rester vigilant.

Le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty a d’ailleurs annoncé en février dernier des mesures pour «prévenir» la formation d’une telle bulle.

Doit-on croire ce qu’on nous raconte et présumer qu’il s’agit d’un boom, ou bien nous fier à ce que nous observons et conclure qu’il s’agit d’une bulle? Mais d’abord, comment distinguer les deux phénomènes? Trois conditions doivent habituellement être réunies pour observer une bulle: (1) la hausse des prix est très rapide et disproportionnée; (2) le crédit est facile à obtenir; et (3) des mesures incitatives favorisent involontairement des comportements non désirés.

Le cas américain est éloquent. En 1995, Washington oblige les banques à accorder des prêts à des clients peu solvables (subprime). Dès 1996, Fannie Mae et Freddie Mac se lancent dans la titrisation des hypothèques à risque. En 1997, l’Oncle Sam réduit l’imposition des gains en capital provenant de la vente d’une maison. La Réserve fédérale réduit son taux directeur qui passe de 6% en janvier 2001 à 1,75% en décembre 2001, puis à 1% en juin 2003. Comme il fallait s’y attendre, le prix des maisons augmente de manière historique, et les Américains s’endettent au-delà du raisonnable. C’est la bulle! Mais la Fed augmente son taux directeur à partir de 2004, ce qui refroidit le secteur immobilier. Très vite, de nombreux propriétaires sont incapables de respecter leurs obligations financières. Les banques saisissent les maisons, les prix chutent et la bulle éclate.

Si les marchés canadien et américain sont différents à plusieurs égards, ils ont en commun plusieurs caractéristiques. Jusqu’à récemment, les Canadiens pouvaient s’acheter une maison sans aucune mise de fonds et avec une hypothèque amortie sur 40 ans. Du jamais vu! À l’instar de la Fed, la Banque du Canada a réduit son taux directeur à 0,25%, un niveau historiquement très bas, tandis que le gouvernement Harper a introduit une série de mesures visant à faciliter l’accès à la propriété (relèvement de la limite de retrait des REER, crédit d’impôt pour l’achat d’une première habitation, etc.). Quant à la Société canadienne d’hypothèques et de logement, elle a augmenté considérablement ses acquisitions de titres hypothécaires. On croirait à un «remake» de l’expérience américaine!

Résultat? À l’échelle canadienne, le prix moyen d’une maison a augmenté de 95% de janvier 2000 à février 2010. À Montréal, la hausse atteint 113,2%. La dette des familles canadiennes représente maintenant 142% de leur revenu disponible, ce qui les rend terriblement vulnérables à la moindre hausse des taux d’intérêt. Si ce qui précède ne constitue pas une bulle, ça lui ressemble drôlement!

Comme ce fut le cas pour toutes les bulles, celle-ci finira également par éclater. Quand? Je l’ignore, mais ce n’est qu’une question de temps. Et quand les Canadiens subiront la douleur d’une violente correction immobilière, les autorités monétaires et la classe politique chercheront des coupables à lapider sur la place publique. C’est alors qu’il nous faudra rester sourds aux discours tapageurs et nous souvenir des véritables artisans de notre malheur: la Banque centrale qui a adopté une politique monétaire malsaine, et des incitations à l’endettement.

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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