D’une poche à l’autre
Québec est dans le rouge et assainir les finances publiques est une tâche qui s’annonce ardue. Selon le Comité consultatif sur l’économie et les finances publiques, il faudrait limiter la croissance des dépenses à 2,5% par année, et augmenter les recettes de l’État de 5,6 milliards pour espérer rétablir l’équilibre budgétaire en 2013-2014. Pour y arriver, les Québécois devront consentir, entre autres, à une hausse de la TVQ et des tarifs. Admettons que cette rigoureuse discipline budgétaire suffise à rétablir l’équilibre. Serons-nous alors tirés d’affaire? C’est ce qui reste à voir!
Il faut également tenir compte des revendications du Front commun syndical du secteur public. Il demande des hausses salariales de 11,25% sur 3 ans, ce qui est nettement supérieur à la croissance maximale de 2,5% recommandée par le comité consultatif. Or, si l’État consent pareilles augmentations sans sabrer radicalement d’autres postes de dépenses, il devient mathématiquement impossible de revenir à l’équilibre budgétaire. I-M-P-O-S-S-I-B-L-E! Malgré nos efforts et nos sacrifices, nous essuierions quand même un déficit de 1 milliard $.
Et que fera Québec pour se libérer d’un déficit persistant et tenace? Nous ne le savons que trop : il se financera en augmentant de nouveau les taxes, les impôts, et les tarifs. En d’autres termes, étant donné sa situation financière, si Québec veut remplir les poches des syndiqués de la fonction publique, il devra nécessairement vider celles des contribuables québécois. C’est triste, mais c’est la réalité!
Pire encore, ils s’évertuent à nier catégoriquement que leurs demandes impliquent une redistribution de la richesse des contribuables vers les employés de l’État. Mme Claudette Carbonneau affirme d’ailleurs ne pas vouloir alourdir le fardeau de la classe moyenne. Très touchant! Mais alors qui paiera? Ah oui, il suffit de taxer les riches. N’est-ce pas d’ailleurs le leitmotiv de Mme Carbonneau qui voit en eux une piñata inépuisable?
Or, qui sont les riches? S’il s’agit des contribuables touchant un revenu de 150 000$ ou plus, le Québec en compte à peine 70 500, soit 1,2% des 5,9 millions de déclarants. Actuellement, chaque «riche» envoie à Québec 51 600$ par année. Pour obtenir un milliard de dollars supplémentaires, il faudrait que leur contribution individuelle grimpe à 65 900$, soit une hausse de 14 300$, ou 28%!
Ce que Mme Carbonneau oublie, c’est qu’on peut imposer les riches tant qu’on veut, mais on ne peut ni les forcer à travailler autant, ni les obliger à rester au Québec. L’Histoire abonde d’exemples où une hausse importante du fardeau fiscal provoque des résultats contraires à ceux escomptés. New York, la Californie, le New Jersey et le Maryland ont récemment vécu l’expérience. Dans le cas du Maryland, l’impôt payé par les plus riches a diminué de 6,7%! La raison en est fort simple : les riches sont particulièrement mobiles. Au-delà d’un certain niveau de taxation, ils nous quittent, ce qui occasionne une réduction des recettes fiscales. De plus, le départ des riches nuit incontestablement à certaines industries qui voient leurs ventes fondre, ce qui accentue à également l’érosion des recettes fiscales. Ce n’est pas tout. Quand le nombre de riches aura diminué, c’est vers la classe moyenne que l’État se tournera pour renflouer ses coffres.
«Faire payer les riches» pour une meilleure «justice sociale» n’est qu’un slogan sensationnaliste destiné à amadouer, voire à chloroformer la classe moyenne. Mais, ultimement, c’est cette classe qui fera les frais des revendications syndicales. Il est important qu’elle en prenne conscience!
Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.