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Textes d'opinion

Les insoutenables garderies à 7$

Jeudi soir, planté devant la télé. Des invités de l’émission Bazzo.tv discutent d’un sujet tabou: les garderies à 7 $. Ce «programme social» coûteux qu’on dit intouchable, alors que le Québec tente par tous les moyens de redresser ses finances.

Pourquoi intouchable? Parmi les invités, le politicien Denis Coderre s’exclame: les garderies à 7 $, «ça nous définit comme peuple». Un professeur de l’Université de Montréal renchérit, solennel: «c’est un symbole de l’identité québécoise!»

J’ai failli m’étouffer avec ma poutine.

Ces deux-là devraient parler à Mauricio, chauffeur de taxi dans Notre-Dame-de-Grâce. Le matin, Mauricio arrête sa voiture devant une maison cossue de Westmount. «Une dame sort de ce château, dit-il, contourne le Hummer qui s’impose dans l’entrée, et embarque dans mon taxi avec sa petite fille. Je les dépose au CPE du coin, et je ramène ensuite la dame à la maison.» Pardon? Le coût de la course dépasse le 7 $ que cette dame paie en frais de garde pour la journée. Pendant ce temps, le garçon d’une mère de Lachine – qui voyage en Tercel 1995 rouillée – poireaute depuis trois ans sur une liste d’attente.

C’est ça qui nous définit comme peuple?

Quand un papa offre un pot-de-vin de 300 $ à une gardienne pour court-circuiter la liste d’attente et obtenir une place pour sa fille, c’est un symbole de l’identité québécoise?

Quand une jeune mère «réserve» une place pour son garçon en payant «dans le vide» pendant 10 mois, parce qu’une place vient de se libérer et qu’elle a peur de la manquer, ça nous définit comme peuple? Et quand, en conséquence, des garderies ayant neuf places ne gardent en réalité que six enfants (car trois autres « fantômes » – parfois même pas nés – complètent la liste), alors que des milliers d’enfants végètent sur une liste d’attente, c’est aussi un symbole de l’identité québécoise?

Une dernière… Quand une gardienne fait payer les parents d’une petite fille 1 $ pour chaque caca qu’elle essuie (je n’invente rien!), parce que cette gardienne sait qu’elle possède un rapport de force inégal devant des parents qui s’estiment chanceux d’avoir une garderie à 7 $… Ça aussi, ça nous définit comme peuple?

Je choisis des exemples extrêmes? Bien sûr. La plupart des CPE et garderies subventionnées offrent un service sans reproche. Mais parlez à de jeunes parents, et ils vous raconteront des récits encore pires. Tous résultats directs ou indirects du prix artificiellement bas des garderies au Québec. Et des pénuries et listes d’attente que ces prix trop bas entraînent. Car les subventions attirent dans le marché des parents qui ont les moyens de payer plus – comme les riches et la classe moyenne aisée, qui utilisent autant les garderies à 7 $ que les pauvres. Elles attirent aussi ceux qui utiliseraient d’autres avenues (la garde partielle par leurs parents ou amis, par exemple) si ces subventions n’existaient pas. De là les files d’attente.

Je vois déjà les défenseurs du statu quo grimper dans les rideaux. Mais certains d’entre vous confondez but et moyen. Posez-vous la question: qu’est-ce que vous défendez? La chance pour tous les parents d’avoir accès à une garderie abordable pour leur enfant, ou bien le système de garderies à 7 $? Ce sont deux choses différentes: l’une est le but, l’autre est un moyen pour atteindre ce but. Je suis moi-même parent, et je suis pour un accès à des garderies de qualité et abordables. Mais d’autres moyens existent.

Chaque place de garderie subventionnée coûte à vous et moi, contribuables, au moins 45 $ par enfant par jour. Pas 7 $, quarante-cinq. Ce montant est encore plus élevé dans les CPE. Et la facture gonfle chaque année en raison de la lourdeur croissante du système. C’est le prix à payer pour faire rouler la machine, et rémunérer les bureaucrates et éducatrices de CPE, désormais syndiquées mur-à-mur. À sa première année en 1997, le programme coûtait 290 millions. Aujourd’hui, il nous coûte plus de deux milliards. Sept fois son coût initial, en seulement 13 ans. Et ce n’est pas fini. Les 15 000 éducatrices en milieu familial viennent d’obtenir le droit de se syndiquer, et se préparent à négocier leur première convention collective. Conséquence: ajoutez au moins 500 millions de plus à la facture de l’État. Soyons clairs: j’encourage tout groupe de travailleurs qui veut améliorer ses conditions. Mais peut-on aussi penser à ceux qui payent?

Bref, non seulement les garderies subventionnées créent une pénurie – et les comportements dignes de l’Union soviétique qui viennent avec –, mais elles ont donné naissance à une structure bureaucratique et syndicale qui se nourrit d’elle-même, et veut toujours grossir. À nos frais.

Voici une solution de rechange: pourquoi pas utiliser ces milliards pour envoyer directement un chèque aux jeunes familles? Imaginez: à 45 $ par jour, vous pourriez facilement choisir une garderie qui convient à votre bambin. Et à 45 $ par jour, les garderies vont rivaliser pour vous offrir le meilleur service et garder votre enfant. À ce prix, les fameuses places supplémentaires qu’on attend depuis des années verraient le jour par le simple jeu de l’offre et de la demande. L’État tient à imposer des normes de qualité? Pas de problème. Il peut le faire en encadrant et en réglementant le marché. Une allocation familiale, modulée en fonction du revenu, serait moins coûteuse pour l’État, plus équitable, et réduirait les listes d’attente.

Cela permettrait aussi d’introduire une flexibilité qui manque cruellement dans le système actuel. Aujourd’hui, payer seulement pour des places à temps partiel est devenu difficile, voire impossible. Or un sondage de l’Institut Vanier, en 2004, montrait que 80% des travailleurs canadiens choisiraient d’élever leur enfant à la maison s’ils pouvaient se le permettre financièrement.

C’est un noble but de promouvoir l’accès des femmes au marché du travail. Mais ce but sera aussi atteint en donnant directement les ressources aux parents, et en les laissant choisir leur service de garde. D’ailleurs, le taux d’activité des femmes est plus élevé ailleurs au Canada qu’au Québec. Pourtant, même après 13 ans, les autres provinces n’ont jamais jugé bon de copier le modèle des garderies subventionnées. Et cessons de prétendre que le mini baby-boom au Québec résulte des garderies à 7 $. Des provinces canadiennes comme l’Alberta ou Terre-Neuve ont vu leur indice de fécondité bondir presque autant que le Québec ces dernières années, sans garderies subventionnées.

Pour aider les jeunes familles, le gouvernement a deux choix: donner l’argent aux parents, ou donner l’argent au système. On a choisi de donner l’argent au système. Pour le bien de nos enfants, et de leur santé financière lorsqu’ils seront adultes et contribuables, il est temps de changer de stratégie.

David Descôteaux est économiste à l’Institut économique de Montréal.

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