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Événement

Let’s Break Up The Big Cities: la tendance américaine actuelle en matière d’administrations municipales

Pourquoi un gouvernement local élargi n’est pas plus efficace: Un plaidoyer en faveur du fractionnement municipal

Allocution présentée le 18 mai 2001 devant l’Institut économique de Montréal par Howard Husock, Directeur des études de cas en politiques publiques à la John F. Kennedy School of Government de l’Université Harvard et collaborateur au City Journal (Manhattan Institute).

Merci. Je suis très heureux de me trouver dans cette ville que les météorologues de la télévision bostonnaise ne manquent jamais de citer comme la source de toutes les vagues de temps froid qui touchent notre ville, un phénomène qu’ils ont baptisé le «Montreal Express». Je me doute que votre terminologie est différente. C’est une leçon que j’ai retenue d’une récente visite à Hong Kong, où les autorités locales en matière de santé m’ont appris que la virulente épidémie de grippe de 1968, qui porte chez nous le nom de grippe de Hong Kong, est connue à Hong Kong comme la grippe de Sydney.

Toutefois, il n’y a aucun doute qu’il existe vraiment un Montréal Express – et un Toronto Express et un Halifax Express – quand il est question de fusions municipales, un phénomène qui a progressé à une vitesse d’enfer. Tout comme la grippe de Hong Kong et la grippe de Sydney, une même chose peut avoir des effets différents et être perçue différemment par des populations différentes. Dans le cas des fusions municipales, il existe un mouvement analogue aux États-Unis, mais il est en grande partie resté au stade de la table à dessin. En fait, aux États-Unis, les forces populaires locales se dirigent exactement dans la direction opposée: elles préconisent le fractionnement de certaines de nos grandes villes en unités administratives plus faciles à gérer, de même que l’établissement de nouvelles petites municipalités à des endroits qui étaient jusqu’ici administrés par des gouvernements de comté régionaux de grande taille.

Le mouvement de décentralisation des administrations municipales découle d’un raisonnement du sens commun, fortement soutenu par l’observation empirique, qui montre clairement que les arguments en faveur de méga-villes fusionnées tiennent davantage du mythe que de la réalité.

Aux États-Unis, l’idée du fusionnement – dont le plus grand défenseur fut l’ancien maire d’Albuquerque (Nouveau-Mexique) David Rusk, dans son livre Cities Without Suburbs – est perçue comme une façon de redistribuer une partie de la richesse des banlieues actuelles vers les quartiers défavorisés des centres urbains. Certains soutiennent en outre que des villes plus grandes seraient plus aptes à tirer leur épingle du jeu de la concurrence économique, présumément en recrutant de gros employeurs.

Or, l’une des clés de voûte de ce point de vue est une grave erreur, soit l’idée faussement répandue qu’un gouvernement plus gros peut être un gouvernement plus efficace et plus efficient. Les défenseurs du régionalisme, aussi bien ici au Québec qu’aux États-Unis, voient tous dans cette prétendue amélioration de l’efficience une façon de générer des économies qui aideront à financer les causes qu’ils cherchent à mettre de l’avant.

Pourtant, étude après étude, il a été démontré que les gains d’efficience des gouvernements de plus grande taille ne se matérialisent pas. C’est là la conclusion de l’étude réalisée par Andrew Sanction de l’University of Western Ontario, que nombre d’entre vous connaissent bien. Une étude similaire réalisée par le corps professoral de la Florida International University dans la région de Miami a révélé que la plus grande partie des économies d’échelle prêtées aux gouvernements municipaux sont illusoires. Le professeur Milan Dluhy a découvert que de telles économies n’existaient en fait que dans deux secteurs: la protection contre les incendies et les services de bibliothèques. Ses recherches ont montré que les gouvernements locaux pouvaient offrir d’autres services tels que la force policière, les loisirs, les travaux publics et la gestion des déchets à un coût égal ou moindre comparativement aux villes fusionnées ou, dans le contexte américain, aux gouvernements de comté. Les récents problèmes budgétaires du Grand Toronto semblent également démentir l’idée que des gains d’efficience peuvent être facilement réalisés de cette façon. Pourtant, il faut bien admettre que le mythe de l’efficacité par la fusion demeure bien vivant, de sorte qu’il est utile d’expliquer exactement pourquoi un gouvernement plus gros n’entraîne pas d’économies. Il vaut aussi la peine d’envisager la possibilité que les meilleurs gains d’efficience puissent en fait être réalisés en prenant la direction contraire, c’est-à-dire en fractionnant les grandes villes en fonction des quartiers qui la composent.

Pourquoi un gouvernement de plus grande taille n’est-il pas plus efficient? Il y a 40 ans, dans un essai succinct mais classique, un économiste du nom de Charles Tiebout nous a fourni un indice clé. Dans les zones métropolitaines, écrivait-il, les gouvernements locaux ne font pas que coexister l’un à côté de l’autre. Bien au contraire, ils se font concurrence. Nous n’attendons pas tous la même chose de nos gouvernements locaux. Ceux qui ont de jeunes enfants peuvent se soucier davantage d’éducation. Les adeptes du jogging peuvent vouloir investir davantage dans les parcs. D’autres pourraient vouloir des rues nettoyées trois fois par semaine. Les différences culturelles peuvent aussi entrer en ligne de compte. En fait, des municipalités séparées offrent aux résidents la possibilité d’opter pour des valeurs différentes avec un minimum de frictions politiques. Les fédéralistes pourraient vouloir dépenser des deniers publics pour célébrer la confédération. Ceux qui ont d’autres préférences politiques pourraient vouloir adhérer à un programme de villes jumelées qui les relierait avec une ville de Cuba, par exemple. L’idée générale est la suivante: les petites collectivités peuvent offrir des services et des attraits différents, et nous pouvons choisir de nous établir dans celle que nous préférons. En outre, même lorsqu’elles offrent des services similaires, elles peuvent se concurrencer quant à l’efficience avec laquelle elles parviennent à offrir ces services. La ville qui offre l’ensemble de services le plus proche de ce que vous souhaitez et qui vous l’offre au taux de taxation le plus bas obtiendra votre adhésion, tout simplement. Vous irez vous y établir. Si les choses changent, vous pourrez vous en aller ailleurs. Nous savons que la concurrence discipline les marchés privés; eh bien, elle discipline aussi le secteur public.

Le regretté Daniel Elazar, qui a longtemps été le directeur du centre d’études sur le fédéralisme de la Temple University, a souligné que certaines des villes les mieux gérées des États-Unis sont celles qui se trouvent dans les régions métropolitaines subdivisées en plusieurs unités administratives: ce qu’on appelle la «Bay Area», où les villes de San Francisco, Oakland et San José se complètent l’une l’autre; ou encore, les villes jumelles prospères et efficientes, Minneapolis et St. Paul. Il vaut la peine de noter que la Bay Area, en particulier, où les trois principales unités administratives sont complétées par de nombreuses petites municipalités telles que Sunnyvale et Redwood City, se démarque globalement comme la région métropolitaine la plus concurrentielle de l’ensemble des États-Unis. Après tout, il s’agit de Silicon Valley.

Certaines des données les plus révélatrices au sujet de l’efficience potentielle d’un marché municipal concurrentiel nous ont été fournies par une jeune et brillante économiste du National Bureau of Economic Research de Cambridge (Massachusetts), Caroline Hoxby. Mme Hoxby a comparé l’efficacité et le coût de l’éducation publique dans des régions métropolitaines comportant une multitude de petits districts scolaires, comme la région de Boston, à ceux de grands districts scolaires fusionnés, comme ceux de New York et de Los Angeles. Voici ce qu’elle a découvert: après la pondération de facteurs tels que le revenu et la race, les résultats des étudiants s’amélioraient (bien que modestement, avec une hausse moyenne des notes de 2 pour cent) avec l’augmentation du nombre de districts, alors que les coûts diminuaient de façon significative, soit de 17 pour cent en moyenne.

Cela dit, je n’ai pas encore entièrement répondu à la question, à savoir ce qui arrive exactement lorsque la taille d’un gouvernement local est accrue, ou pourquoi un gouvernement de plus grande taille est moins susceptible d’être efficient. La réponse nécessite que l’on s’arrête d’abord à ce que les citoyens veulent, puis à ce qu’ils ne veulent pas. D’abord, lorsque survient la fusion, les différents services et attraits offerts par toutes les unités administratives sont regroupés. Personne ne veut que les services soient réduits, mais, c’est un fait bien établi en politique, aucune municipalité ne peut offrir certains services dans un seul quartier. Tous les adeptes du jogging qui avaient auparavant peu de poids dans l’unité administrative A peuvent maintenant se tourner vers leur nouvelle méga-ville en soutenant que, puisqu’il y a de superbes pistes de jogging dans ce qui était auparavant l’unité administrative B, ils ont droit eux aussi à cet avantage. En d’autres termes, plutôt que de se trouver réduite, la prestation de services doit inévitablement augmenter pour répondre à tous les goûts qui étaient séparés avant la fusion. Les coûts augmentent puisque, par exemple, il faut maintenant aménager des terrains de basketball dans des quartiers où on en avait fait une priorité secondaire. Le nombre d’employés municipaux est nécessairement appelé à augmenter, plutôt qu’à diminuer.

Parallèlement, les élus municipaux d’une ville fusionnée deviennent inévitablement plus difficiles d’accès aux simples citoyens. Il est plus difficile pour un citoyen, ou même pour un groupe de citoyens, d’influencer la politique. Cette situation est tout à l’avantage des groupes d’intérêt bien organisés, qui disposent de ressources suffisantes pour embaucher du personnel en vue d’influencer les politiques en leur nom. Même l’activiste de quartier bénévole le plus zélé aura peu de poids face au personnel embauché à plein temps par les syndicats du secteur public, par exemple, qui connaissent les politiciens locaux, qui les aident à se faire élire et qui comprennent comment le système fonctionne. Inévitablement, dans l’intérêt des membres qu’ils représentent, les syndicats résisteront aux coupures de personnel envisagées par les municipalités. Ils insisteront pour que les gains d’efficience qui existaient dans certains petites municipalités soient éliminés. Ainsi, si l’unité administrative A payait ses employés du service des loisirs moins cher que ne le faisait l’unité B, on peut s’attendre à ce que la nouvelle ville fusionnée n’ait qu’une seule échelle de salaire – la plus élevée.

Il en est ainsi parce que les groupes d’intérêt auront plus d’influence et de pouvoir de négociation dans une ville fusionnée. C’est une chose lorsque des policiers mettent en oeuvre des moyens de pression qui affectent une petite unité administrative; c’en est une autre lorsque leurs actions touchent la région métropolitaine dans son ensemble.

À mon avis, à la lumière de telles constatations, les villes ne devraient pas seulement éviter de fusionner avec d’autres municipalités, elles devraient même envisager de faire exactement le contraire. Pour atteindre les gains politiques et économiques prédits par la théorie Tiebout, plutôt que d’avaler leurs voisins, elles devraient se scinder en leurs propres constituants. De fait, il existe des mouvements en ce sens partout aux États-Unis. Dans la région de Miami, huit nouvelles municipalités ont été créées au cours des dix dernières années, se séparant ainsi du gigantesque gouvernement du comté de Dade. À Los Angeles, la deuxième ville en importance aux États-Unis, un mouvement très bien organisé appelé Valley Vote tente d’obtenir la sécession des quartiers de la vallée de San Fernando, qui regroupent plus d’un million d’habitants. On s’attend à ce que le projet fasse l’objet d’un référendum l’an prochain. S’ils gagnent, les promoteurs du projet pourraient envisager de diviser la vallée en 20 unités administratives plus petites, ou même davantage. Au début des années 1990, à New York, la plus grande ville des États-Unis, l’un des cinq districts, Staten Island, a voté une sécession complète et définitive qui n’a été empêchée que parce que les lois de l’État exigeaient l’approbation du gouvernement de l’État, qui s’y est opposé.

En plus des gains d’efficacité présumés, les tenants de gouvernements municipaux régionaux soutiennent que les méga-villes seront plus en mesure de soutenir la concurrence sur le marché international. Il s’agit là d’une méprise quant à la façon dont les villes deviennent et demeurent prospères et quant à ce qui se produirait vraisemblablement après une fusion. Tout d’abord, comme Jane Jacobs l’expliquait de façon si convaincante dans son livre The Economy of Cities, les villes en santé ne cherchent pas à attirer les entreprises commerciales déjà établies ailleurs. Au contraire, elles développent leurs propres nouvelles idées, meilleures et originales. C’est l’histoire de Silicon Valley, ou même de Starbucks à Seattle. Vous pouvez être certains que si Seattle avait imposé un taux de taxation trop élevé, les cafés Starbucks auraient pu être étouffés au berceau. Pour une ville, la meilleure façon de progresser est de maintenir les taxes à un bas niveau, de permettre facilement la conversion des édifices à de nouveaux usages et de limiter le nombre de permis et d’exigences réglementaires requis pour la création de nouveaux commerces.

Qui plus est, si et quand des entreprises naissantes ou en croissance chercheront à construire de nouvelles usines ou de nouveaux entrepôts, les méga-villes pourraient bien se révéler une source d’obstacles plutôt que de facilité. Voici pourquoi. L’une des raisons pour lesquelles les citoyens acceptent la délivrance de permis ou les changements de zonage qui permettent l’établissement de nouvelles entreprises dans leur municipalité est la croyance selon laquelle les avantages qu’ils en tireront, en fait d’emplois créés et de taxes municipales, supplanteront les inconvénients qu’ils devront subir, comme l’augmentation de la circulation. Dans une méga-ville, les citoyens d’un petit quartier donné craindront que les nouveaux projets ne leur apportent plus de coûts que d’avantages, et utiliseront les tactiques du «pas dans ma cour» pour faire cesser les nouvelles constructions. En fait, les partisans des fusions disent clairement qu’ils cherchent précisément à redistribuer la richesse des quartiers les plus prospères vers les quartiers les plus démunis. Le résultat sera qu’il y aura globalement moins de richesse, parce que les quartiers plus riches réaliseront qu’ils ont de moins en moins de raisons d’accepter la croissance. Étant donné que la croissance, peu importe où elle se manifeste, procure des emplois accessibles aux résidents de toute la région métropolitaine, cette attaque démagogique des quartiers plus prospères portera aussi un dur coup aux plus démunis.

Comment les quartiers les plus pauvres peuvent-ils améliorer leur condition? Ils doivent tirer la véritable leçon de la mondialisation: être concurrentiels en réduisant leurs coûts d’affaires. Je ne suis pas très familier avec la situation montréalaise, mais dans la plupart des régions métropolitaines aux États-Unis, les grandes villes ont de loin les coûts d’administration per capita les plus élevés. On m’a demandé, par exemple, d’étudier le cas de la ville de Kalamazoo (Michigan), qui tentait de promouvoir ce qu’ils appelaient un pacte régional, en vertu duquel les banlieues devraient partager les revenus de taxation avec la ville centrale. Mon analyse a permis de constater que dans chaque domaine de dépenses municipales (police, travaux publics, loisirs), les coûts de Kalamazoo étaient une fois et demie supérieurs à la moyenne des coûts de ses banlieues suburbaines. La ville n’avait donc pas de problème de financement – elle avait un problème de dépenses. Et, comme je l’ai dit plus tôt, la fusion n’entraîne pas une réduction des coûts, mais une inévitable augmentation.

Permettez-moi maintenant de soulever une toute autre question. Le fractionnement des villes (ou la préservation des municipalités indépendantes existantes) ne signifie pas que le régionalisme n’a pas aussi sa raison d’être. Bien au contraire, des municipalités indépendantes peuvent travailler de concert sur des points spécifiques pour lesquels il est dans leur intérêt de collaborer. Aux États-Unis, c’est ce que nous appelons les districts à vocation spéciale. Dans la région de Boston, par exemple, bien qu’il y ait des douzaines de villes et de municipalités indépendantes, il n’y a qu’un seul district sur le plan du transport en commun pour toute la région métropolitaine, de même qu’un seul réseau d’aqueduc et d’égout. De la même façon, les municipalités s’entendent pour se fournir une aide mutuelle au chapitre de la protection contre les incendies: en cas d’incendie majeur, les camions d’incendie de toute la région servent de camions de réserve, de sorte qu’aucune ville n’a à payer pour des camions qui resteraient inutilisés la plupart du temps. Autrement dit, plutôt que d’être simplement le contraire du régionalisme, le fractionnement des villes pourrait être la base d’un régionalisme efficace.

Voici un exemple: à Buffalo, dans le comté d’Erie (New York), une région qui lutte pour devenir concurrentielle sur le plan économique, le chef exécutif du comté a récemment entrepris ce qu’il appelle la commission «Qui fait quoi», dont les membres examinent quels types de services pourraient gagner à être achetés ou fournis par des groupes de municipalités, plutôt que chacun de son côté. Ils ont déjà commencé à économiser sur des services tels que l’évaluation des propriétés, sans avoir à demander aux citoyens de sacrifier le contrôle que ceux-ci ont sur les affaires locales et auquel ils tiennent, avec raison d’ailleurs.

Dans le contexte canadien, il est fort possible, par exemple, que le soi-disant transfert des responsabilités en matière d’assistance sociale (la motivation du gouvernement conservateur ontarien pour créer la méga-ville de Toronto) aurait pu être géré par la création d’un district à vocation spéciale pour ces questions uniquement, sans qu’une fusion ne soit nécessaire.

Si l’on regarde derrière nous, les fusions sont le plus souvent le rêve des planificateurs, alors que les simples citoyens ont tendance à privilégier la formation de petites localités. Aux États-Unis, où certains prêchent également en faveur des fusions, le nombre de municipalités a continué de croître: de 16 800 en 1952, elles sont passées à 19 300 en 1992. Les citoyens comprennent généralement les vertus de gouvernements locaux plus petits, appuyés par une collaboration régionale appropriée. Les tenants des fusions municipales ignorent cette sagesse à leurs propres risques.

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