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Textes d'opinion

Place à la compétition!

Un dimanche soir humide dans un parc de l’Est de Montréal. Le gros cogneur des Rotoculteurs se présente au marbre. Paul, mon lanceur, envoie la balle… Whack! Une flèche en ma direction. Je baisse mon gant pour l’intercepter. Trop tard… La balle file entre mes jambes. J’ai peur de relever la tête. Le jugement des cinq spectateurs éparpillés dans les estrades m’indiffère. Ce qui me terrorise, c’est Paul. Il hait perdre. Je vais entendre parler de mon erreur pendant deux mois…

Paul est très compétitif. Notre équipe est loin de s’en plaindre. Paul trouve toujours le moyen de nous faire gagner. Même contre les plus coriaces adversaires. Mais ça, c’est le dimanche. Le lundi, tout change. Paul travaille à la Ville de Montréal. Il est col bleu. Et à l’entendre, il préfère la loi du moindre effort lorsque vient le temps de remplir un nid-de-poule.

J’ai pensé à Paul – et à ses contradictions – cette semaine. Incapable de boucler son budget, le gouvernement québécois veut faire grimper les tarifs, la TVQ, les impôts… Bref, la main de l’État veut fouiller plus profond dans vos poches. Il existe pourtant une alternative: rendre l’État plus efficace et moins coûteux.

Comment? Les fonctionnaires syndiqués effectuent un travail de piètre qualité et sont payés trop cher, dit-on. Parce qu’ils sont paresseux et incompétents? Non. La plupart de ces hommes et femmes sont comme vous, comme moi, comme Paul. Dévoués et talentueux. Le problème: ils se trouvent prisonniers d’un système qui punit l’initiative, se fiche de l’efficacité, et récompense le gaspillage. Nos fonctionnaires travaillent au sein de monopoles. Sans jamais se frotter à la concurrence. Difficile alors de sortir le meilleur d’eux-mêmes. Et c’est nous, contribuables, qui en payons le prix.

Stephen Goldsmith a compris cela. En 1995, cet ancien maire d’Indianapolis a décidé de lancer des appels d’offres, tous les cinq ans, pour l’entretien d’une partie des rues de la ville. Les syndiqués municipaux pouvaient aussi soumissionner. Mais ils se mesureraient à des entreprises privées. Le contrat irait au groupe offrant un travail de qualité, au meilleur prix.

Devinez qui a remporté le contrat? Les employés de la Ville. Ils ont présenté une soumission nettement inférieure à celle de leurs concurrents privés. «Nous étions certains que les entreprises privées écraseraient nos travailleurs dans une situation de concurrence directe», raconte Goldsmith, aujourd’hui professeur à l’Université Harvard, dans son livre Resurrecting Urban America. «Mais les hommes et femmes qui font ce travail savent mieux que quiconque comment l’accomplir. En ayant leur destinée en main – et le contrôle sur les décisions –, ces travailleurs ont fait preuve de créativité. Ils se sont transformés en spécialistes de l’efficacité du jour au lendemain», dit-il.

La ville d’Indianapolis dépensait 425 $ par tonne d’asphalte chaud pour remplir les nids-de-poule. Avec la nouvelle soumission: 307 $. Une économie de 25 % pour les contribuables.

Indianapolis n’est pas seule. La ville de Philadelphie économise bon an mal an 38 M$ par année depuis qu’elle fait jouer la concurrence dans les services municipaux. C’est la Grande-Bretagne, en 1980, qui a parti le bal. Les syndicats ont protesté au départ. Mais ils ont raflé plus de 70% des contrats! Normal. Ils sont experts dans leur domaine. Motivez-les, et ils deviennent aussi innovateurs, efficaces et soucieux que leurs confrères du privé.

Pour rendre l’État plus efficace – et moins cher –, il faut introduire la compétition.

En ce moment, les Montréalais et Québécois paient cher le manque de compétition dans la livraison des services gouvernementaux. Qu’on me comprenne bien. Des fonctionnaires qui se défoncent jour après jour, ça existe. Mais nombre de services – autant au municipal, au provincial qu’au fédéral – gagneraient à se frotter à la concurrence. Entretien des routes, déneigement, transport en commun, comptabilité, livraison du courrier… la liste est longue.

Et les économies réalisées? On pourrait les distribuer aux usagers par le biais de baisses de tarifs, aux contribuables en diminuant leurs impôts, et aux employés du secteur public sous forme de bonification des conditions de travail.

Au lieu de nous refiler la facture de leur piètre gestion, nos élus doivent ouvrir les portes de l’État à la concurrence.

Notre équipe de balle-molle? Elle s’est rendue en finale cet été-là. Grâce à Paul. Une chance qu’on jouait le dimanche.

David Descôteaux est économiste à l’Institut économique de Montréal.

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