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Textes d'opinion

Vote au scrutin secret: le travailleur d’abord

Ayant l’honneur de faire partie des «ténors de la droite» d’après la formule de Mme Claudette Carbonneau, présidente de la CSN, je souhaite répondre à son texte d’opinion publié lundi dernier dans un quotidien montréalais. Celui-ci constituait une réaction officieuse à un cahier de recherche publié par l’Institut économique de Montréal (IEDM).

Un sondage Léger Marketing a été commandé à l’occasion du dévoilement de cette étude préparée par Marcel Boyer, économiste principal à l’IEDM et professeur émérite de sciences économiques à l’Université de Montréal. Ce sondage, mené en août 2009, montre que plus de sept Québécois sur dix estiment que le gouvernement devrait modifier la loi actuelle pour rendre obligatoire la tenue d’un vote au scrutin secret auprès des employés visés par une demande d’accréditation syndicale. L’appui à une telle modification est encore plus fort chez les travailleurs syndiqués, à 80%.

Mme Carbonneau ne consacre pas une seule phrase à s’interroger sur les raisons du fort appui populaire envers le vote au scrutin secret. Cet «oubli» est symptomatique de l’attitude des dirigeants syndicaux, qui se voient parfois comme des bergers ayant le devoir de veiller au bien de leurs moutons, peu importe la volonté de ces derniers. Et gare à ceux qui ne sont pas assez dociles.

Elle compare l’adhésion à un syndicat au fait de devenir membre d’un parti politique, soulignant que les deux se font par signature d’une carte sans tenue d’un vote. Cette comparaison occulte une caractéristique fondamentale du régime d’accréditation syndicale québécois et canadien, fondé sur la formule Rand. En effet, lorsqu’un syndicat est accrédité, il ne représente pas uniquement les personnes qui ont signé une carte de membre, mais l’ensemble des travailleurs de l’unité d’accréditation. Comme si un parti politique qui arrivait à obtenir la signature de la majorité des électeurs d’une circonscription pouvait exiger une contribution financière de sa population en entier!

Autre exemple: imaginez que des souverainistes décident de proclamer l’indépendance du Québec aussitôt que plus de 50% de la population a signé une carte à cette fin au cours d’une période de douze mois. L’autre moitié des citoyens n’aurait aucunement eu son mot à dire et à la limite pourrait même ignorer qu’une campagne visant l’indépendance avait eu lieu. Les gens n’auraient pas eu l’occasion de s’informer à propos des deux côtés de la médaille, d’écouter des débats entre les deux camps, d’en discuter avec leurs proches. Sauf peut-être les purs et durs les plus coriaces, je doute que quiconque considère qu’un tel processus est légitime. Pourtant, c’est la conception de la démocratie que Mme Carbonneau défend.

Personne ne cache le fait que le vote au scrutin secret a tendance à réduire le taux de succès des tentatives d’accréditation syndicale. Le cahier de recherche de l’IEDM cite d’ailleurs les travaux du professeur Chris Riddell qui a analysé la situation en Colombie-Britannique. Il conclut que pour adopter une position plus neutre à l’égard de la syndicalisation, le vote au scrutin secret peut être combiné à des pénalités plus strictes en cas de tactiques illégales de la part de l’employeur.

Une autre option est ce qu’on appelle le «scrutin d’avant-audition» testé avec succès en Nouvelle-Écosse. Ce modèle consiste à décréter un scrutin dans les cinq jours après le dépôt de la demande d’accréditation et avant l’audition de cette demande par la commission des relations du travail. Cette formule permet au syndicat de choisir le moment de dépôt de la demande lorsqu’il croit avoir le plus grand appui et d’éliminer toute campagne élaborée de la part de l’employeur. Par contre, elle permet également de vérifier plus adéquatement la volonté des employés grâce au vote.

La version romancée style «David contre Goliath» de la syndicalisation n’est plus crédible de nos jours. Les centrales syndicales ont des ressources financières et humaines colossales pour assister à la mise en place d’un syndicat dans une entreprise. Affirmer que les travailleurs sont protégés de l’intimidation syndicale parce qu’un agent de relations du travail peut enquêter sur ces pratiques est tout aussi irréaliste. Ce serait comme dire qu’il ne sert à rien de verrouiller sa porte d’entrée puisque la police surveille les voleurs.

L’actualité récente suggère qu’un travailleur qui a été intimidé par des organisateurs syndicaux, peut-être même à son domicile, y pensera à deux fois avant de porter plainte.

La syndicalisation a des conséquences sur l’entreprise. Débattre de ces conséquences n’est pas une atteinte au droit d’association. L’employeur et les employés ne souhaitant pas s’associer ont le droit de faire valoir leur point de vue. L’objectif d’un régime de relations de travail équilibré ne devrait pas être la syndicalisation à tout prix, mais le respect du droit d’adhérer ou non à un syndicat.

Année après année, les sondages indiquent que les travailleurs, en particulier les travailleurs syndiqués, préfèrent le vote au scrutin secret. Les dirigeants syndicaux qui s’opposent à cette mesure auront-ils un jour le courage d’admettre qu’ils ne représentent pas réellement la volonté des travailleurs?

Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l’Institut économique de Montréal.

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