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Textes d'opinion

L’ère des fourmis

Conover, Caroline du Nord. Par une matinée de septembre, des sacs blancs s’empilent sur les tablettes, derrière les caissières du K-Mart. À l’intérieur: cahiers, crayons et calculatrices.

L’un des sacs appartient à Tracey Chandler. Cette mère d’une fille de 8 ans utilise le service de mise de côté pour acheter 150 $ d’articles scolaires pour sa fille. Tracey réunit tout de suite les articles nécessaires, et pourra récupérer le sac quand elle aura payé le total du contenu – il lui manque 30 $. Tracey espère régler la facture à temps pour le début des classes. Elle veut éviter de décevoir sa fille.

Tracey Chandler n’est pas seule. Endettés jusqu’au cou, refusant d’ajouter au solde de leur carte de crédit, de plus en plus d’Américains magasinent comme leurs grands-parents à l’époque: ils attendent d’amasser assez d’argent avant d’acheter un article. D’autres redoublent d’efforts pour épargner quelques sous. Kathy Spencer, une résidente du Massachusetts, vient d’hériter du titre de «reine des coupons-rabais». Elle profite des soldes, congèle tout ce qui bouge, découpe une quantité monstre de coupons-rabais… et réussit à nourrir une famille de six pour 10 $ par mois.

Une nouvelle ère s’annonce: celle des fourmis.

Après des années de vie au-dessus de ses moyens – grosse cabane, deux VUS, cinq cartes de crédit –, la cigale qu’est l’Américain moyen traine aujourd’hui une dette de 56 000 $. C’est, en dollars d’aujourd’hui, 40 000 $ de plus qu’il y a vingt ans. La firme de recrutement Monster affirme qu’un Américain sur trois possède à peine de quoi durer une semaine s’il perd son emploi. Les Canadiens sont-ils mieux? Non. Un nombre croissant vit de chèque de paye en chèque de paye, révèle un sondage. Près de deux employés sur trois seraient incapables de payer leurs factures si on retardait leur paye d’une semaine…

Terminée, la récession? J’en doute. D’une part, le moindre choc – rechute boursière, flambée du pétrole ou des taux d’intérêt, épidémie de grippe porcine – peut faire basculer des milliers d’entre nous vers la faillite. De l’autre se pose la question: d’où viendra la croissance? La consommation compte pour 70% du PIB. Et le consommateur est fauché.

Pendant ce temps les gouvernements aggravent les choses. Aux États-Unis, on offre des crédits d’impôt de 8000 $ à l’achat d’une nouvelle maison (avec en prime une lourde hypothèque). On donne 4500 $ à un individu pour qu’il échange sa vieille bagnole contre une voiture neuve (et contre une dette de plusieurs milliers de dollars). On encourage les banques à prêter à n’importe qui, à tout prix.

On tente de régler un problème d’endettement… par plus de dettes.

Résultat: consommateurs et gouvernements sont aujourd’hui plus endettés qu’il y a un an. Les gouvernements, en pelletant le problème en avant, achètent du temps. Mais ils ne font que retarder l’inévitable.

La surconsommation et l’endettement ont une limite. Et nous l’avons atteinte. La seule façon de rebâtir l’économie sur du solide, c’est d’épargner. Et payer nos dettes. Bien sûr nous serons moins nombreux au centre commercial. Et à court terme, les entreprises feront moins de profit. Mais c’est l’inévitable chemin de croix par lequel notre économie doit passer. L’épargne – qui permet d’investir et de créer des emplois – est le véritable moteur d’une économie. Pas la consommation.

Les gouvernements ont un rôle à jouer. Ils doivent cesser de s’endetter, réduire leurs dépenses et diminuer les impôts des citoyens. Plus vite les consommateurs payeront leurs dettes, plus vite l’économie rebondira.

Et les sacs blancs cesseront de s’empiler sur les tablettes des K-Mart de ce monde.

David Descôteaux est économiste à l’Institut économique de Montréal.

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