Choisir ses batailles
À l’instar de l’Europe et de l’Amérique, le Canada profite de la crise économique et des scandales financiers pour déclencher une offensive sans précédent contre le secret bancaire qu’il tient responsable des maux qui nous touchent et des malversations des financiers véreux. Ottawa a d’ailleurs déjà signé des ententes de divulgation de renseignements privés avec la Suisse et les Pays-Bas, et espère convaincre d’autres pays d’en faire autant.
Certes, l’escroquerie est indéfendable et impardonnable. Mais partir en guerre contre les paradis fiscaux, c’est s’opposer à la concurrence fiscale entre États souverains. Est-il donc logique que certains États, qui choisissent d’offrir des lois fiscales avantageuses et de respecter la propriété privée, capitulent pour permettre à d’autres de préserver un régime fiscal oppressif? Surtout, la disparition des paradis fiscaux rendra-t-elle aux délinquants de la finance leur sens de l’éthique? On peut en douter!
Malgré tout, on applaudit les efforts du ministre Blackburn car, nous dit-on, ils permettent de réduire l’évasion fiscale. C’est oublier qu’elle n’est que le symptôme d’un trouble plus profond. Si les paradis fiscaux existent, c’est parce qu’il y a des enfers fiscaux. Les chercheurs ont montré que le principal déterminant de l’évasion fiscale, c’est le taux de taxation. L’OCDE a publié une étude qui le confirme, et Friedrich Schneider, expert en matière de fiscalité et professeur à l’Université Johannes Kepler en Autriche, abonde dans le même sens. Quand le contribuable sent qu’on le prend pour une piñata, il va naturellement tenter de protéger le fruit de son travail. Plutôt que de pointer du doigt les «juridictions non coopératives», le ministre du Revenu devrait donc faire un exercice d’introspection et se pencher sur la nature même du régime fiscal canadien qui, manifestement, est jugé non compétitif par bon nombre de citoyens.
Mais un tel exercice n’intéresse pas Ottawa qui défend sa position en affirmant que l’évasion fiscale force les gouvernements à taxer plus lourdement les contribuables incapables de se soustraire à l’impôt. Cet argument est grotesque! Un commerçant qui perd des clients au profit d’un concurrent augmente-t-il ses prix pour récupérer les revenus perdus? Évidemment pas! Le principe est le même dans le cas de l’évasion fiscale. Si l’État alourdit son fardeau fiscal pour compenser le manque à gagner, il ne fait qu’encourager les autres contribuables à chercher des échappatoires.
Contrairement à ce qu’on entend, la concurrence fiscale, au même titre que la concurrence entre les entreprises, est saine et bénéfique. Elle permet au contribuable de ne plus être une proie captive, ce qui contraint les gouvernements à contrôler leurs pulsions confiscatoires, et à dépenser les deniers publics de manière plus prudente. Elle permet aux travailleurs de conserver une portion plus importante de leurs revenus, ce qui favorise une hausse de l’épargne et de l’investissement, lesquels sont indispensables à la croissance économique. Elle attire la main-d’œuvre qualifiée ainsi que les capitaux financiers nécessaires au développement et à la création de richesse.
On peut comprendre qu’Ottawa n’apprécie pas la concurrence des paradis fiscaux. Mais les ententes de délation et la répression ne sont pas des solutions. Si certains pays ne garantissent plus le secret bancaire, d’autres sauteront sur l’occasion pour occuper cette niche. Si les épargnants ne peuvent plus faire confiance aux banques, ils trouveront d’autres moyens pour échapper à la dictature fiscale. La lutte sera vaine!
M. Blackburn choisit mal ses batailles. Il devrait plutôt travailler pour faire du Canada le plus attrayant des paradis fiscaux. Nous y gagnerons tous.
Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.