Deux poids, deux mesures
Les maisons de crédit sont dans la mire des gouvernements. Il y cinq semaines, le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, annonçait neuf mesures de réglementation pour protéger les détenteurs de cartes. Puis, jeudi dernier, le Comité sénatorial des banques et du commerce déclare qu’il faut davantage réglementer les fournisseurs de cartes de crédit en créant un comité de surveillance qui aurait le pouvoir d’imposer un plafonnement des frais et des taux d’intérêt.
Une telle réglementation parait nécessaire, nous dit-on, car les maisons de crédit exigent des taux de l’ordre de 18% à 19%, et se rendent coupables de manipuler, voire d’abuser des détenteurs de cartes, en plus d’accompagner leurs produits de contrats compliqués et confus. Soit! Alors appliquons ce raisonnement jusqu’au bout.
Comment réagir face à une institution qui, en plus de réclamer des intérêts sur les montants dus, impose une pénalité de 5% du solde impayé, plus 1% du solde impayé par mois de retard? Et que dire du fait que cette pénalité augmente à 10%, plus 2% par mois de retard dès la deuxième offense? N’est-ce pas abusif, voire usuraire?
Quant au «contrat» auquel cette institution se réfère, il est si hermétique et l’information y est si dense que seuls des professionnels l’ayant étudié pendant plusieurs années peuvent espérer y voir clair. Si l’État a raison d’imposer aux maisons de crédit plus de clarté et de transparence, ne devrait-il pas être tout aussi exigeant envers une telle institution?
C’est ce que dicte la logique. Mais alors pourquoi n’en est-il rien? Tout simplement parce que cette institution, c’est le fisc: les frais en question sont des pénalités fiscales, et le contrat fait référence à la loi de l’impôt sur le revenu. Ainsi, le contribuable qui déposerait aujourd’hui ses déclarations avec un an de retard serait contraint de payer des pénalités et des frais d’intérêt de l’ordre de 24% au provincial et de 23% au fédéral. Certes, il suffit de respecter les échéances pour éviter de telles pénalités. Mais n’en est-il pas de même pour les cartes de crédit? L’État ne devrait-il donc pas prêcher par l’exemple en révisant ses façons de faire? Les défenseurs de la justice, de l’équité et de la solidarité sociale ne devraient-ils pas être scandalisés face à une politique à de deux poids deux mesures?
À cette incohérence vient s’en ajouter une autre qui pourrait être lourde de conséquences. Nous savons maintenant que la crise du crédit trouve ses origines dans des politiques obligeant les banques à abandonner leurs critères de sélection et à prêter à des clients à risque. En voulant aider les moins nantis à accéder à la propriété, on a déclenché une gigantesque bulle immobilière pour laquelle nous payons maintenant le prix.
Aujourd’hui, on s’apprête à reproduire le même scénario en voulant faire plafonner les taux d’intérêt exigés par les fournisseurs de cartes. Les sentiments qui motivent une telle politique sont certainement nobles, mais il reste que plus le crédit est abordable, plus les gens y ont recours, plus l’endettement augmente, et plus on attire de clients insolvables. Or, dans un contexte où l’endettement à la consommation n’a pas cessé d’augmenter pour atteindre maintenant 9691$ par Québécois, cette mesure est certainement risquée, voir kamikaze.
Nous sommes en train d’assembler les conditions nécessaires à la création d’une bulle du crédit. Et comme toute bulle, elle finira par exploser. N’avons-nous donc rien appris des erreurs du passé?
Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.