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Textes d'opinion

En avoir pour son argent (1)

Crise financière oblige, cela fait plusieurs mois que les médias nous bombardent de termes jusqu’ici méconnus: papier commercial adossé à des actifs; titrisation; subprime; dérivé de crédit; actif toxique; etc.

Récemment, une autre expression spécifique aux banques centrales a fait son entrée dans notre vocabulaire usuel. Il s’agit de l’«assouplissement quantitatif» en vertu duquel une Banque centrale achète des obligations gouvernementales et/ou corporatives afin d’injecter de l’argent neuf sur les marchés financiers. En termes simples, ceci signifie qu’elle fait fonctionner la planche à billets. La Réserve fédérale, la Banque d’Angleterre et la Banque centrale européenne sont d’ailleurs bien familières avec ce genre de mesure. Au Canada, M. Mark Carney, gouverneur de la Banque centrale, a récemment laissé entendre qu’il envisage également le recours à l’impression de monnaie.

Évidemment, on nous dit que l’assouplissement quantitatif permet de lutter contre la crise économique et de stimuler la croissance. Si c’était réellement le cas, le Zimbabwe, qui fait intensivement fonctionner sa planche à billets, devrait être aujourd’hui le pays le plus riche de la planète. Or, il vit un cataclysme économique sans précédent. Selon les dernières statistiques, ce pays enregistre un taux d’inflation de 231 000 000%, tandis que la base de production est anéantie!

Ce résultat découle d’une confusion entre l’argent et la richesse. On s’imagine qu’il suffit de mettre davantage de monnaie entre les mains des consommateurs pour que le pays prospère. C’est une erreur! La richesse, c’est notre capacité à produire des biens et services. La monnaie n’est qu’un outil pour faciliter les échanges. On est riche, non pas parce qu’on possède beaucoup d’argent, mais bien parce qu’on produit quelque chose que la société valorise.

L’assouplissement quantitatif n’étant pas synonyme de production, il ne contribue en rien à la prospérité. Par contre, comme il augmente la quantité de monnaie en circulation, il réduit la valeur de l’argent. Certes, les partisans de cette mesure prétendent que si les gens dépensent davantage, la production augmente. Ce n’est pas si simple, car nous sommes limités par notre capacité de production.

Ainsi, même si la Banque centrale versait un million de dollars dans le compte bancaire de chacun d’entre nous, nous ne serions pas plus riches. Nous aurions temporairement une illusion de richesse, mais lorsque les magasins seront incapables de répondre à la demande des millions de consommateurs frénétiques, les prix augmenteront. Au bout du compte, notre portefeuille sera plus épais, mais nous ne consommerons pas plus qu’avant. Les Zimbabwéens ont tous des valises pleines de billets de 100 milliards, mais c’est à peine suffisant pour acheter quelques produits d’épicerie! Ce qui importe, ce n’est ni la quantité de billets dont nous disposons ni leur valeur nominale, mais bien le pouvoir d’achat de chacun d’eux.

En conséquence, si l’assouplissement quantitatif ne nous rend pas plus productifs, il est en revanche annonciateur d’inflation. En effet, plus on injecte de liquidités, plus les prix augmentent. L’inflation n’est donc pas un phénomène naturel face auquel nous sommes impuissants. Milton Friedman, Prix Nobel d’économie, affirmait que «l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire», ce qui signifie que c’est la Banque centrale, et elle seule, qui est responsable des augmentations soutenues du niveau moyen des prix.

Mais quelles sont les conséquences de l’inflation sur nos vies? Une inflation faible, comme celle que préconise Mark Carney, n’est-elle pas souhaitable pour le bon fonctionnement de l’économie? C’est ce qu’on tente de nous faire croire, mais est-ce réellement le cas? C’est ce que nous examinerons la semaine prochaine.

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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