fbpx

Textes d'opinion

Quelle déréglementation?

La déréglementation tous azimuts, nous le savons tous, est l’élément déclencheur de la crise économique. Et si le Canada est moins touché, c’est grâce à un système bancaire rigoureusement contrôlé. C’est du moins ce que tout le monde répète de manière mécanique depuis des mois, comme si c’était une vérité formelle. Lundi, c’était au tour de Robert Zoellick, président de la Banque mondiale, d’y aller d’une déclaration similaire.

Mais de quelle déréglementation s’agit-il? Voilà bien une question à laquelle les partisans de la théorie de la déréglementation sont incapables de répondre!

Et pour cause: il n’y a eu aucune déréglementation importante. Certes, il y a eu la suppression graduelle du Glass-Steagall Act de 1933 qui imposait une séparation entre les banques de dépôt et les banques d’investissement. Mais il serait illogique et malhonnête de lui attribuer les déboires du système bancaire, car il n’a fait que consentir aux banques américaines les mêmes droits que ceux dont jouissent les institutions canadiennes et européennes qui, elles, se portent bien.

Il y a eu également le Riegle-Neal Act de 1994 qui visait à libérer les banques des contraintes géographiques en leur permettant d’ouvrir des succursales n’importe où aux États-Unis. Toutefois, cette nouvelle liberté ne peut être tenue responsable de la crise. D’une part, loin de perturber l’équilibre du système bancaire, le Riegle-Neal Act en augmente la stabilité, car il permet aux institutions de répartir leurs risques sur un plus grand territoire. D’autre part, les banques canadiennes ont toujours été libres d’opérer n’importe où au pays, sans que cela compromette la santé du système bancaire.

En revanche, les budgets alloués aux agences de réglementation augmentent depuis plus de 20 ans. Aujourd’hui, plus de 12 000 fonctionnaires s’affairent à faire respecter les centaines de milliers de pages de réglementation dont les marchés financiers font l’objet.

Notons également qu’en 1995, afin d’augmenter l’accès à la propriété, Washington renforce le Community Reinvestment Act pour contraindre les banques à octroyer des prêts hypothécaires aux minorités défavorisées, et particulièrement aux communautés noire et hispanique. Aussi absurde que cela puisse paraître, les banques devaient abandonner leurs critères de sélection traditionnels et prêter à des clients à risque pour éviter d’être accusées de discrimination et d’être poursuivies par le gouvernement fédéral.

Pour encourager les banques à prêter, Fannie Mae et Freddie Mac, deux sociétés créées par le gouvernement américain, étaient chargées d’acheter les hypothèques à risque auprès des banques, de les assembler et de les revendre sur le marché mondial. Or, en permettant aux établissements financiers de se débarrasser facilement de leurs créances douteuses, on les déresponsabilise. Il ne faut donc pas être surpris qu’ils aient multiplié les prêts à des clients insolvables.

Finalement, la Réserve fédérale réduit son taux directeur à 1% en 2004. Mais, après avoir été incités à s’endetter au maximum de leur capacité, beaucoup d’Américains ont été étranglés par le poids de leurs dettes dès que les taux d’intérêt ont commencé à augmenter.

Il est de bon ton de répéter comme un perroquet que la déréglementation et le capitalisme sauvage sont à l’origine de la crise. Mais quand on oblige les banques à prêter contre leur gré, où est la déréglementation? Quand Fannie Mae et Freddie Mac inondent la planète d’actifs toxiques, où est la déréglementation? Quand la politique monétaire de la Fed pousse à l’endettement, où est la déréglementation? Se pourrait-il que nous nous soyons trompés de coupable?

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

Back to top