Hara-kiri économique
En août dernier, alors que l’Obamania gagnait la planète entière, j’avais écrit que le candidat démocrate «ne propose rien d’original, seulement de vieilles théories socialistes». Évidemment, j’ai dû subir les foudres de ses admirateurs, tous prêts à faire brûler sur le bûcher quiconque tiendrait des propos blasphématoires sur les politiques de leur nouvelle idole.
Et lorsque Barack Obama a remporté la victoire, l’émotion a fait pleurer des millions de personnes qui voyaient en lui le début d’une ère nouvelle. On a été tellement aveuglé par ce qu’il symbolise qu’on a totalement ignoré son message.
Mais, en voulant fermer les frontières à certaines importations, Obama a prouvé qu’il n’est pas le révolutionnaire qu’on imaginait. Le protectionnisme, voyez-vous, n’est pas un concept novateur! Il est même tellement ancien qu’on pourrait le qualifier de «paléosocialisme».
Certes, reproduire des politiques efficaces peut être souhaitable. Or, ce n’est pas le cas des mesures protectionnistes. En 1930, soit au début de la Grande Dépression, le Congrès américain adopta la loi Smoot-Hawley afin de limiter les importations et de préserver des emplois. Ce fut un échec. Alors qu’il n’était que de 9% en 1930, le taux de chômage atteignit 16% l’année suivante, et 25% en en 1932! Aujourd’hui, les économistes s’entendent pour dire que le réflexe protectionniste du Président Hoover ainsi que le New Deal du Président Rosevelt ont aggravé et prolongé la dépression.
La xénophobie économique permet certes de protéger les travailleurs de certaines industries. En l’occurrence, ceux de l’acier sont incontestablement avantagés par la nouvelle clause «Buy American» proposée par les Démocrates. Mais que signifie cette mesure pour le reste de la population?
Entre autres, elle fera grimper le prix de l’acier aux États-Unis, entraînant ainsi une hausse du prix de tous les biens dont la production exige ce célèbre alliage, une baisse de la compétitivité de nombreuses entreprises, et une réduction du pouvoir d’achat de plus de 300 millions de consommateurs. Le protectionnisme n’est donc qu’une vulgaire arnaque qui permet à l’État de jouer au sauveur en faisant payer le gros prix à toute la population pour un privilège qu’il octroie à une minorité.
Évidemment, les Canadiens seront touchés par cette mesure et on laisse déjà planer la possibilité qu’ils aient recours à des mesures de représailles. Après tout, si l’Oncle Sam ne veut pas de notre acier, ne devrions-nous pas répliquer en réduisant à notre tour nos importations de produits américains?
Absolument pas! Réduire nos importations, c’est l’équivalent d’un embargo auto-infligé. C’est obliger les Canadiens à payer plus cher pour certains produits. Washington est libre de se faire un hara-kiri économique en instaurant des mesures protectionnistes. Mais ne serait-il pas absurde qu’Ottawa en fasse autant pour l’économie canadienne?
Souvenons-nous que, pendant la campagne présidentielle, Obama avait annoncé son intention de revoir l’ALENA. Aussitôt assermenté, il propose la clause «Buy American». Que le Sénat puisse diluer celle clause importe peu. La réalité est que notre principal partenaire commercial est devenu protectionniste! Aujourd’hui c’est l’acier. Et demain?
Nous devrions donc tirer des leçons des derniers jours et comprendre qu’il est malsain que 75% de nos exportations soient destinées au marché américain. Dans le contexte actuel, la diplomatie est inutile. Nous aurions plutôt intérêt à redoubler d’efforts pour conquérir de nouveaux marchés, et ainsi réduire notre dépendance face à l’économie américaine. Les États-Unis adoptent des politiques paléosocialistes qui les enfoncent dans le marasme économique. Ne les laissons pas nous entraîner dans leur chute!
Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.