Attention aux apprentis sorciers!
Plusieurs voix s’élèvent pour réclamer une réforme en profondeur du capitalisme dans la foulée de la crise financière qui nous afflige depuis un an et de la crise économique qui se pointe. Si on admet la nécessité que certaines pratiques dans le domaine du crédit soient mieux contrôlées (le crédit hypothécaire à risque, entre autres), il faut d’abord comprendre comment ces pratiques ont pu voir le jour avant d’imaginer des solutions.
On connaît déjà deux des principales sources de la crise actuelle: la politique économique américaine qui a favorisé des programmes de crédit facile et les pressions du Congrès sur Fannie Mae et Freddie Mac en faveur des hypothèques à risque, qui ont amené ces entreprises non pas tant à sous-estimer le risque de certaines transactions financières, mais plutôt à fermer les yeux sur ces risques. Les gouvernements devraient cesser de jouer aux apprentis sorciers. Leurs bonnes intentions ont trop souvent des conséquences catastrophiques. Difficile de croire que les propositions de réforme du capitalisme iront dans le sens d’imposer des restrictions accrues sur leurs propres gestes!
Malgré le vent de panique qui s’abat depuis quelques mois sur plusieurs marchés, industriels et financiers, il ne faut pas oublier la croissance économique exceptionnelle des quelque 25 dernières années. Ainsi, de 1981 à 2007, l’économie américaine a créé 45,6 millions d’emplois nets, soit une augmentation de 45%; l’économie canadienne, 5,6 millions, une augmentation de 50%; et l’économie québécoise, 1,1 million, une augmentation de 38%.
Voyons aussi la croissance du produit intérieur brut (PIB) réel, une mesure relativement fiable et comparable de la valeur globale des biens et services produits dans un pays ou une région, et communément utilisée, une fois exprimée par habitant, comme indicateur des gains de niveau de vie au fil du temps: de 1981 à 2007, le PIB réel par habitant a augmenté de 66% aux États-Unis, de 54% au Canada et de 51% au Québec. Une fois corrigé pour tenir compte de l’évolution du coût de la vie, le PIB réel par habitant du Canada s’élevait à 91,1% de celui des États-Unis en 1981, mais à 83,7% en 2007. Le Canada a donc perdu un peu de terrain, tout comme la France et l’Italie, alors que la Corée du Sud, la Belgique, la Norvège et le Royaume-Uni ont fait des gains appréciables par rapport aux États-Unis.
De toute évidence, le dernier quart de siècle a été exceptionnel pour l’économie américaine sur le plan des gains de niveau de vie. S’il est nécessaire d’apporter certaines réformes au fonctionnement du capitalisme aux États-Unis ou ailleurs, il faut bien se garder de jeter le bébé avec l’eau du bain, un risque réel à ne pas négliger. L’économie de marché et la liberté exercée de façon responsable restent au regard des faits la meilleure garantie de développement et de croissance du niveau de vie et donc, entre autres, de l’éradication de la pauvreté.
Marcel Boyer est vice-président et économiste en chef de l’Institut économique de Montréal.