Xénophobie économique
Un parti politique qui voudrait privilégier l’achat de produits fabriqués par des Blancs, des hommes ou des catholiques déclencherait un scandale. En revanche, s’il préconise d’acheter des produits fabriqués au Québec, il obtient le soutien de la population qui le voit comme un patriote qui défend l’économie locale.
C’est précisément l’image que l’Action démocratique du Québec tente de projeter en s’indignant du fait que les T-shirts de la Fête nationale aient été fabriqués au Salvador et qu’un important contrat d’éoliennes ait été octroyé à une entreprise allemande. L’ADQ réclame que le gouvernement et les sociétés d’État acceptent de payer plus cher afin de favoriser les fournisseurs locaux, de sauver des emplois et de faire tourner l’économie. Qui pourrait contredire une logique apparemment implacable?
Avec l’argent des autres
Qu’un parti politique soit disposé à faire preuve de largesses envers les entreprises locales n’est guère surprenant car c’est toujours facile d’être généreux avec l’argent des autres! N’oublions pas que ce sont les contribuables, et eux seuls, qui feront les frais d’une politique d’achat local. Comme notre gouvernement est incapable de boucler son budget sans recourir à des manipulations comptables douteuses, les coûts supplémentaires occasionnés par la proposition de l’ADQ seront obligatoirement financés par des hausses d’impôts ou une augmentation de la dette.
Or, dans les deux cas, les Québécois seront contraints de réduire leurs dépenses, et les entreprises, qui perdent ainsi des clients, licencieront des travailleurs.
On berne les entreprises
Au bout du compte, l’achat local ne fait que déplacer des emplois au bénéfice des entreprises privilégiées par l’État.
Mais ce n’est pas tout: l’achat local est un mensonge antipatriotique. On berne les entreprises en augmentant artificiellement la demande pour leurs produits et en les laissant croire qu’elles sont rentables. Et comme elles savent qu’elles sont avantagées par rapport à leurs rivales étrangères, elles ne sont pas incitées à améliorer leur productivité et entretiennent des méthodes de production inefficaces. Elles peuvent même être tentées d’augmenter leurs prix, faute de compétition. Peut-être seront-elles favorisées pendant quelque temps, mais elles seront incapables de rivaliser avec les entreprises étrangères dès que la xénophobie économique s’essoufflera. Placer des industries entières en position de faiblesse, est-ce vraiment ce que nous voulons?
Si des entreprises étrangères décrochent d’importants contrats, c’est parce qu’elles sont plus productives et plus efficaces que les nôtres. Voir des bannières québécoises incapables de rivaliser sur la scène internationale a effectivement de quoi attrister. Mais le favoritisme n’est pas, et n’a jamais été, un remède à l’inefficacité. C’est même un cadeau empoisonné. En revanche, alléger le fardeau fiscal des entreprises est une solution qui a fait ses preuves. Le gouvernement du Québec l’a d’ailleurs récemment reconnu en abolissant la taxe sur le capital pour les entreprises manufacturières afin de les aider à améliorer leur compétitivité.
Mais les entreprises ne votent pas, et réduire leurs impôts n’est pas aussi rentable d’un point de vue électoral qu’une politique qui inspire un vertueux patriotisme. En proposant une mesure populiste, l’ADQ espère marquer des points. Je pense au contraire qu’elle en perdra car elle oublie que ses électeurs l’ont choisie, entre autres, parce que son chef promettait de repenser le modèle québécois et de faire contrepoids à la mentalité interventionniste du PQ et du PLQ. Mais ça, c’était avant le 26 mars 2007! En réclamant l’achat local, l’ADQ a montré qu’elle est semblable aux autres partis qui considèrent l’injection de fonds publics comme une panacée.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably est chercheuse associée à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.