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Textes d'opinion

Le culte de la victime : suite et fin

Mon texte de la semaine dernière a été consacré au fait que la nouvelle politique québécoise en matière de malbouffe réduit les libertés individuelles et ouvre la voie à la «nationalisation» des corps, car elle octroie à l’État le droit de décider de ce qui entre dans notre estomac.

Évidemment, la milice antimalbouffe prétend qu’une telle politique est nécessaire, car ce sont les contribuables qui financent le système de santé et qui, par conséquent, paient pour soigner les obèses. Leur logique est donc simple: je paie, donc je décide de ton alimentation.

Cet argument est réducteur. L’obésité occasionne des coûts, certes, mais il faut également tenir compte du fait que, malheureusement, les obèses meurent prématurément. Ils allègent donc les coûts liés aux soins de santé destinés aux aînés puisqu’ils réclament moins de pensions de vieillesse. Le fardeau qu’un obèse impose aux contribuables n’est donc pas celui qu’on nous présente, peut-être même est-il équivalent à celui d’une personne svelte qui vit jusqu’à 80 ans, mais il ne faut pas demander aux fondamentalistes antimalbouffe d’effectuer ce genre de précisions!

L’argument du financement public des soins de santé est également pernicieux, car il pourrait être invoqué pour réglementer n’importe quel comportement puisque toutes les activités humaines présentent des risques plus ou moins graves. On peut se blesser en déplaçant des meubles, en soulevant des sacs d’épicerie, en ratant une marche d’escalier, en rénovant sa maison, en pratiquant son sport préféré… Combien de gens terminent leur journée de ski dans une salle d’urgence, et combien finissent leurs jours dans un fauteuil roulant suite à un mauvais plongeon! C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la médecine sportive occupe une place majeure dans le monde médical.

Si on interdit la malbouffe, pourquoi ne pas également réglementer toutes les activités qui imposent des coûts au système de santé? On pourrait bannir les autos pour réduire le nombre d’accidents de la route, empêcher le jogging pour limiter le nombre de chirurgies du genou, interdire les perçages pour éviter les infections, et limiter les déménagements à un par décennie afin de diminuer le nombre de blessures au dos.

Et sachant qu’une femme sur neuf développera un cancer du sein, pourquoi ne pas rendre obligatoire pour toutes les femmes une double mastectomie et ainsi économiser sur les traitements anticancer très coûteux?! Si l’on permet à des fonctionnaires de décider de notre alimentation pour le «bien de la société», pourquoi ne nous dicteraient-ils pas nos comportements pour la même raison?

Le véritable problème, qui gêne réellement la brigade antimalbouffe, ce n’est pas tant l’embonpoint d’autrui, mais plutôt le fait que chacun de nous doit payer pour les soins de santé consommés par le voisin. D’ailleurs, n’a-t-on jamais entendu les ténors de la santé publique faire la promotion d’une bonne hygiène buccale? Certainement pas, puisque les soins dentaires sont la responsabilité de l’individu et non celle de l’État!

Le débat sur la malbouffe est donc intimement lié à celui sur le financement des soins de santé. Évidemment, un système d’assurances privées où chaque individu paierait une prime en fonction du risque qu’il présente semble inconcevable pour beaucoup de Québécois. Pourtant, cette approche garantirait à l’individu la propriété de son corps et la liberté de choisir son style de vie. Mais encore faut-il accepter d’être responsable de son corps!

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.

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