Un exemple à ne pas suivre
Le premier ministre hongrois Ferenc Gyurcsany avouait récemment, après sa réélection, qu’il avait utilisé des «centaines d’astuces comptables» pour cacher à ses électeurs l’état catastrophique des finances de son pays. La publication de cet aveu a donné lieu aux manifestations qui ont secoué Budapest ces derniers jours. Une bonne partie du peuple hongrois, enragée de s’être ainsi fait flouer, souhaite la démission du gouvernement.
Baissez le volume, cherchez dans l’histoire de plusieurs démocraties, et vous trouverez des stratagèmes analogues.
En mars 2003, un mois avant les dernières élections générales au Québec, la ministre des Finances, Pauline Marois présentait le dernier budget du gouvernement péquiste sortant. On se souvient de la suite. «Le gouvernement a fait un pari de trois milliards de dollars sur le fait qu’il réussirait à trouver des solutions dans l’année pour atteindre ses objectifs», a conclu celui que le nouveau gouvernement libéral avait chargé, à l’été 2003, de faire enquête sur les finances publiques. Selon l’ancien Vérificateur général du Québec, Guy Breton, le gouvernement sortant avait déjà dans sa manche une série de mesures impopulaires pour équilibrer le budget, y compris un projet de hausse de 100 $ de l’immatriculation automobile.
En mai 1994, l’ancien ministre des Finances André Bourbeau présentait le dernier budget du gouvernement libéral avant le retour du PQ au pouvoir. Afin de desserrer l’étau en cette année électorale, M. Bourbeau avait tablé sur une croissance des revenus autonomes de 4,6%, tandis que le PIB nominal ne devait croître que de 3,8% cette année là. Cherchez l’erreur. Arrivé aux commandes, le gouvernement Parizeau a eut tôt fait de découvrir un trou budgétaire.
Dans le cas hongrois comme dans les deux cas québécois cités, les gouvernements sortants ont eu recours à des astuces comptables pour éviter le coût politique associé à des mesures d’austérité avant un scrutin. Ils l’ont fait, sans doute, tout en sachant l’importance qu’accordent les électeurs à l’intégrité de leurs dirigeants. Dans les trois cas, ces astuces n’ont été révélées qu’après le vote et n’ont donc pas influé sur son résultat.
Pourtant, au Québec du moins, l’étude attentive des documents budgétaires aurait pu forcer le gouvernement à parler vrai en temps utile. Mais bien peu de gens ont consenti les efforts requis pour ce faire.
Dès 1957, l’économiste Anthony Downs proposait une explication intéressante à ce phénomène: «l’ignorance rationnelle». Selon lui, les électeurs renoncent à se renseigner suffisamment avant de voter, car le coût de leur recherche d’information – en temps ou en autres ressources – dépasse le bénéfice potentiel. Convaincu que son vote ne fera pas une grande différence, l’électeur moyen sera peu porté à se renseigner, sauf si l’information lui est facilement accessible. Voilà pourquoi il s’intéresse peu aux budgets gouvernementaux et aux programmes des partis.
Tablant sur cette «ignorance rationnelle», les gouvernements et les partis politiques continuent de lui promettre le beurre et l’argent du beurre. Il revient donc à des corps intermédiaires, comme les médias et les organismes de recherche, d’analyser les prétentions gouvernementales et partisanes. Grâce à de tels chiens de garde, nous éviterons de suivre l’exemple hongrois.
Paul Daniel Muller est président de l’Institut économique de Montréal.