L’exode des muscles
Je le confesse, je ne suis pas une fan de hockey. Je dirais même que ce sport me laisse de glace. Toutefois, l’actualité sportive des deux dernières semaines a été particulièrement intéressante.
Depuis le 1er juillet, le marché des joueurs de hockey est ouvert. Les équipes courtisent les joueurs qui, eux, attendent la meilleure offre. Évidemment, les athlètes les plus en demande se voient offrir les meilleurs contrats, comme Zdeno Chara qui a obtenu 37,5 millions$US pour cinq ans. Et dire que certains persistent à nier l’existence des lois de l’offre et de la demande!
Mais, alors que plusieurs équipes ont conclu des ententes avec les joueurs qu’elles convoitaient, le Canadien n’a réussi à séduire personne. Et, si je me fie à mes collègues des pages sportives, ce n’est pas faute d’avoir essayé, puisque plusieurs joueurs auraient décliné l’offre du Tricolore. Quand on sait également que le prolifique Brendan Shanahan aurait refusé l’offre du Canadien pour accepter celle moins généreuse des Rangers de New York, il y a de quoi être intrigué.
Pourquoi une équipe aussi prestigieuse que le Canadien rencontre-t-elle tant de difficultés à attirer des joueurs? L’équipe jouerait-elle devant des gradins vides? Certainement pas puisque le Canadien affiche complet pratiquement à chaque match. Peut-on alors blâmer la faiblesse du dollar canadien? Si le taux de change pouvait encore récemment servir de motif, il en va tout autrement aujourd’hui alors qu’il atteint des niveaux record. Le Canadien serait-il incapable de rivaliser avec les «gros marchés» américains? Cet argument est obsolète, car toutes les équipes sont limitées par le plafond de 44 millions imposé par l’entente entre les joueurs et les propriétaires. Certains invoquent la question de la langue. Mais est-il vraiment impossible de vivre en anglais à Montréal? Quant à la «pression» des médias, cet argument boiteux se passe de commentaires!
Taux de taxation
Comment donc expliquer cet exode de muscles? Joueurs et agents invoquent souvent le taux de taxation pour justifier le manque d’intérêt pour Montréal. Malgré tout, de nombreux observateurs et commentateurs refusent obstinément d’accepter cet argument. Est-il si difficile d’admettre que les impôts fédéral et provincial, les taxes de ventes, les taxes d’acisse, les taxes municipales, les taxes scolaires, la taxe de Bienvenu, les tarifs douaniers et les autres taxes qui amputent près de la moitié de la paie des joueurs, puissent les dissuader de venir au Québec? Qui donc se porterait volontaire pour joindre le groupe des contribuables les plus taxés en Amérique du Nord?
Le sport professionnel n’est pas le seul domaine où il est facile de migrer vers des régions où la fiscalité est moins gourmande. En règle générale, la mobilité augmente avec le niveau de qualifications. Or, si l’exode de muscles est bien réel, l’exode des cerveaux ne le serait-il pas également? Perdre quelques joueurs est certes regrettable, mais certainement pas catastrophique pour une économie. En revanche, perdre les travailleurs les plus qualifiés est incontestablement lourd de conséquences. Chaque médecin, chaque entrepreneur, chaque chercheur qui quitte la Belle Province, c’est un savoir-faire que nous perdons, c’est une productivité qui bénéficiera à d’autres. Nous voulons tous une économie prospère et dynamique, mais nous avons besoins de cerveaux pour y arriver. Ne les faisons pas fuir!
L’exode des muscles est la manifestation la plus flagrante et la plus médiatisée d’une fiscalité vorace. Or, la réduction du fardeau fiscal est devenu un tabou, et les bien-pensants n’hésitent pas à marginaliser et à qualifier d’«ennemi de la solidarité» quiconque soulève la question. Mais il ne faut pas se laisser intimider, il en va de l’avenir du Québec.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.