Norbourg, Enron et cie
Depuis huit mois que je tiens une chronique dans le Journal, j’ai accumulé plusieurs centaines de courriels de lecteurs. Au fil du temps, j’ai remarqué que plusieurs déclarent ne pas comprendre que je défende la liberté économique alors que les médias rapportent des fraudes monumentales comme celles de Norbourg, Enron, Tyco et Worlcom.
L’attitude mafieuse des dirigeants de ces compagnies est souvent considérée comme une preuve suffisante du manque d’éthique de la libre entreprise et de la nécessité de l’interventionnisme étatique.
Il est incontestable que les économies capitalistes nous ont livré leur lot d’escrocs. Mais prenons garde aux amalgames, car à côté des quelques scandales financiers, il faut reconnaître qu’il existe des centaines de milliers d’entreprises et des milliers de multinationales qui réalisent quotidiennement des milliards de transactions de manière honnête et conforme à l’éthique. Il y a des compagnies comme Procter et Gamble, Johnson & Johnson, Kraft, General Mills, General Electric Fisher Price et La Baie, pour ne nommer que quelques unes, qui nous procurent les produits qui contribuent quotidiennement à notre bien-être et dont on ne saurait se passer.
Comparativement à la multitude d’entreprises qui existent, les quelques scandales qui défraient la manchette ne peuvent être emblématiques de la faillite de l’économie de marché. Au contraire, ils constituent l’exception qui confirme qu’elle fonctionne bien. Cessons donc de jeter le bébé avec l’eau du bain!
Un système qui fonctionne bien
Le capitalisme est imparfait, et il y aura toujours des fraudeurs. Néanmoins, il constitue le système qui fonctionne le mieux, car il sanctionne les coupables. Les malversations de dirigeants peu scrupuleux constituent malheureusement des tragédies pour les personnes touchées. Néanmoins, en acculant rapidement à la faillite les fautifs, le libre marché présente le mérite de contenir les dégâts en plus de punir les responsables. N’avons-nous pas maintes fois été témoins de situations où les escroqueries de quelques employés ont réduit à néant la réputation d’une entreprise, prouvant ainsi que seule l’honnêteté peut garantir sa pérennité?
Il est vrai que, si le système fonctionne relativement bien, c’est en partie parce que l’État s’assure que les droits de propriété sont clairement définis et respectés grâce à un appareil légal et législatif qui a su mériter notre confiance. Ainsi, dans un cas comme celui de Norbourg, non seulement Vincent Lacroix a-t-il était sanctionné par le marché dans la mesure où sa réputation est à jamais salie et son entreprise est fermée, mais il lui est également impossible de jouir du fruit de sa malveillance grâce à un État qui punit les comportements délinquants.
S’il est faux de penser que chaque entreprise privée présente une menace, il est également faux de considérer les actions gouvernementales comme une panacée. N’oublions pas les décès occasionnés par le sang et l’eau contaminés. Ne négligeons pas non plus ceux attribuables aux interminables listes d’attente pour des soins de santé. Et que dire des sommes détournées des caisses de la SAAQ et de l’Assurance-emploi? Quant au fait que notre gouvernement déclare un budget équilibré alors que la dette québécoise augmente chaque année, ne faut-il pas y voir un bel exemple de manipulation comptable?
Faire le procès du marché est dans l’ordre des choses. Mais l’honnêteté intellectuelle exige que nous fassions également celui de l’interventionnisme étatique avant de l’idéaliser. Les expériences prouvent qu’un État qui joue le rôle de l’entreprise privée n’est pas la solution. Il devrait se limiter à ce qu’il sait faire de mieux: assurer le respect des droits de propriété et des ententes contractuelles afin d’aider le marché à mieux fonctionner et promouvoir la concurrence.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.