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Textes d'opinion

Journée mondiale de l’eau

C’est aujourd’hui la Journée mondiale de l’eau. Comme chaque année, le 22 mars est l’occasion pour plusieurs de scander que l’eau est une sorte de don du ciel et qu’il est inadmissible de réduire ce liquide vital au rang de banale marchandise. Comme l’eau est essentielle à la vie, ils affirment qu’elle est un «droit fondamental» de l’homme, et qu’elle devrait être gratuite pour tous.

Mais est-il raisonnable de donner gratuitement une ressource essentielle à la vie? La gratuité aide-t-elle réellement les plus démunis?

Si l’eau que nous buvons est incontestablement essentielle à la vie, ce n’est pas le cas de toutes les utilisations que nous en faisons. L’eau sert à laver les entrées de garage, à arroser les terrains de golf et à remplir les piscines. L’eau entre dans la production de boissons gazeuses; elle est indispensable aux lave-autos et aux véhicules chargés de l’entretien des rues, et sert de liquide de refroidissement dans plusieurs usages industriels.

S’il l’on peut défendre l’idée que chaque habitant devrait quotidiennement recevoir gratuitement la quantité d’eau nécessaire à ses besoins essentiels, il est impossible de justifier le «droit» à une consommation illimitée destinée à des fins récréatives, accessoires ou strictement commerciales. La gratuité mène au gaspillage. Notre comportement est d’ailleurs bien différent selon qu’il s’agit de l’eau du robinet ou d’une bouteille d’eau Evian. Voulons-nous vraiment gaspiller une ressource indispensable à la vie?

La gratuité génère également des transferts importants aux gros utilisateurs et avantage surtout les industries et les particuliers les mieux nantis. Lequel de ces utilisateurs bénéficie le plus de la gratuité: le pauvre qui vit dans un 3½ avec une salle de bain et qui ne possède ni auto, ni piscine, ni jardin, ou bien le riche qui vit dans une demeure équipée de quatre salles de bain, qui possède trois voitures, qui doit remplir sa piscine surdimensionnée et qui insiste pour que son gazon soit le plus vert du quartier? Il est également évident que la gratuité de l’eau bénéficie énormément à des firmes comme Coca-Cola ou Domtar.

À l’avantage des plus riches

Ainsi, nous payons des impôts destinés à l’assainissement et à la distribution des ressources hydriques, lesquelles sont ensuite consommées principalement par des firmes ou des ménages aisés. Les partisans de la gratuité ont raison d’affirmer que ce principe permet une redistribution des richesses, mais ils devraient préciser que cette redistribution est essentiellement effectuée à l’avantage des utilisateurs les plus riches.

La consommation des ménages ne représente que 7% de toute l’eau potable. Supposons que la moitié de cette consommation (soit 3,5% de la consommation totale) soit attribuable à des gens incapables de payer pour leur eau. Est-il raisonnable alors de subventionner 96,5% de la consommation d’or bleu uniquement par souci de ne pas nuire à une infime minorité?

Entendons-nous bien: nous voulons tous aider les plus démunis, mais c’est sur le moyen à utiliser que nous divergeons. La gratuité semble inspirée par un souci de solidarité, mais c’est en fait un moyen qui encourage le gaspillage et qui aide surtout les gros consommateurs. Le fait d’introduire une tarification est tout à fait conciliable avec notre souci d’aider les moins nantis. Ne serait-il pas plus logique d’aider financièrement cette fraction de la population qui ne peut se permettre de la payer? Non seulement notre objectif social aurait-il été atteint, mais nous pourrions également réduire le gaspillage et préserver la ressource.

En cette Journée mondiale de l’eau, nous pouvons soit continuer à nous donner bonne conscience en nous dorlotant dans de nobles principes, soit envisager des solutions véritablement efficaces.

Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal.

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