Qui paie vraiment les impôts?
Il y a quelques jours, Léo-Paul Lauzon, professeur de comptabilité à l’UQAM, signait une étude intitulée L’Autre déséquilibre fiscal. Selon lui, le déplacement du fardeau fiscal des compagnies vers les individus qu’on a observé au cours des dernières décennies serait un phénomène moralement inacceptable.
Il est vrai que les particuliers contribuent déjà beaucoup aux recettes fiscales. Cela constitue d’ailleurs un excellent argument pour réduire l’impôt sur le revenu, car il est indéniable que l’énorme fardeau fiscal que les travailleurs supportent a pour effet de diminuer leur niveau de vie. Par contre, cette situation ne justifie pas qu’il faille augmenter l’impôt des entreprises.
À l’instar du professeur Lauzon, nous pouvons être tentés de croire qu’une hausse de l’impôt des entreprises serait plus équitable. Mais cette thèse repose sur une erreur fondamentale qui consiste à considérer les entreprises comme des entités autonomes et indépendantes des êtres humains. Or, une entreprise n’existe qu’à travers les individus qui les possèdent, ce qui implique que taxer une entreprise revient à taxer ses propriétaires. Comme les revenus des individus sont déjà taxés, l’impôt sur les profits des entreprises constitue en fait une sorte de double taxation.
Si une entreprise doit payer 30% d’impôt, chaque dollar de profit l’autorise à verser uniquement 70 cents à ses propriétaires. Mais ces derniers doivent également payer, disons 50% de leurs revenus, en impôt. Ils ne leur restera donc que 35 cents en poche, ce qui correspond à un taux d’imposition de 65%! Le simple fait de mettre un chèque dans une enveloppe et d’y apposer un timbre donne le droit à notre gouvernement de taxer une seconde fois. C’est un peu comme une taxe pour avoir changé notre argent de poche. Contrairement à M. Lauzon qui considère que les entreprises ne paient pas leur juste part d’impôt, il serait plus juste d’affirmer que la part assumée par les propriétaires est excessive.
Les propriétaires
Et quand on parle des propriétaires des entreprises, il ne s’agit pas des actionnaires de multinationales qui brassent des affaires de centaines de millions. Au contraire, près de 75% des entreprises québécoises sont des PME comptant moins de 5 employés (et 98% comptent moins de 100 employés). Ainsi, la prochaine fois qu’on vous dira qu’il faut taxer davantage les entreprises, regardez François, Louis et Rosa qui opèrent votre dépanneur, votre cordonnerie ou votre casse-croûte préféré, et dites-vous bien que ce sont eux qui écoperont.
Quant aux entreprises de taille plus importante cotées en bourse, n’oublions pas que la majorité des actionnaires sont M. et Mme Tout le monde ainsi que les fonds de pension, et que l’impôt des entreprises ajouté à l’impôt sur les dividendes constitue également une double taxation qui freine la croissance de vos petites économies.
Un impôt pénalise un comportement. C’est pour cette raison que l’on considère, par exemple, que les taxes environnementales aideront à réduire la pollution. L’impôt sur les entreprises pénalise l’entrepreneurship. Qu’on le veuille ou non, les entreprises sont le moteur de la croissance économique. Avec des profits inférieurs, elles doivent renoncer à prendre de l’expansion et à embaucher des travailleurs. Quant à celles de taille importante, l’impôt les encourage à quitter le Québec pour s’installer dans des endroits où l’État est moins gourmand.
Taxer lourdement des entreprises et assassiner l’entrepreneurship ne rapportent rien, si ce n’est chômage et misère. Voilà ce qui est moralement inacceptable!
Non seulement l’étude de M. Lauzon nie-t-elle des aspects de la fiscalité que la science économique a démystifiés depuis longtemps, mais elle prône une pratique néfaste à la prospérité du Québec.
Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal.