Le bien-être économique
L’un des arguments les plus fréquemment invoqués pour justifier l’intervention de l’État dans l’économie est que cela permet d’augmenter le bien-être de la société. Voilà un noble idéal. Mais la possibilité de viser juste présuppose que l’on puisse mesurer adéquatement ce bien-être économique. Selon une certaine théorie économique, il suffirait d’additionner le niveau de satisfaction que chaque individu retire de ses activités économiques pour obtenir une mesure du bien-être économique de la société dans son ensemble.
Mais cette procédure est impossible à appliquer dans les faits, et ce, pour deux raisons. Premièrement, les préférences individuelles sont subjectives. Autrement dit, seul l’individu peut vraiment savoir ce qu’il ressent en choisissant de consommer une chose plutôt qu’une autre. Par conséquent, comment pourrait-on, en plus, donner une valeur à cette utilité sur une échelle quantitative?
Deuxièmement, les comparaisons entre les niveaux de satisfaction des personnes n’ont aucune validité. Dire que Jean retire plus de satisfaction en mangeant de la glace italienne que Jacques en retire en mangeant de l’agneau relève d’un jugement arbitraire. Dans ce contexte, comment peut-on additionner des «unités de satisfaction» comparable pour atteindre un total?
Les niveaux de satisfaction individuelle ne peuvent être ni quantifiés, ni comparés, ni additionnés. Il s’ensuit que l’on ne peut déterminer, de manière scientifique, si tel ou tel phénomène augmente ou diminue le bien-être général. Tout indice de bien-être économique est forcément imparfait. Cela est vrai du produit intérieur brut (PIB), qui regroupe tous les biens et services marchands. C’est également vrai de tout indice partiel. Pour ne prendre qu’un exemple, il est difficile de conclure quoi que ce soit du niveau de bien-être général si l’espérance de vie s’accroît mais que la qualité de vie de certains individus qui vivent plus longtemps diminue au point de les rendre très malheureux.
Les sondages d’opinion ne sont d’aucun secours, car les gens révèlent leurs véritables préférences uniquement par leurs actions. Ils peuvent avoir intérêt à donner une fausse réponse à une question – sans compter qu’ils peuvent l’interpréter de manière différente.
Par exemple, si la moitié des habitants de Montréal disent qu’ils préféreraient vivre ailleurs, cela signifie simplement que tel serait leur choix s’ils pouvaient trouver ailleurs tous les avantages de leur ville, mais aucun de ses coûts (congestion, loyers, etc.). Or, la plupart choisissent de demeurer à Montréal. Tout compte fait, ils jugent donc que les avantages nets (les avantages moins les coûts) sont plus grands que ce qu’ils pensent pouvoir obtenir ailleurs.
Un gouvernement qui décréterait qu’il faut relocaliser tout ceux qui ont exprimé le choix de vivre ailleurs en croyant augmenter ainsi leur bien-être se trouverait à créer un désastre économique. C’est pourtant la même chose que ce que font souvent les gouvernements dans divers domaines lorsqu’ils imposent des choix à l’ensemble de la société, au nom d’idéaux abstraits qui semblent de prime abord irréprochables.
Il faut donc conclure que la seule façon de s’assurer que le bien-être général augmentera est de permettre à chacun d’exercer sa liberté d’action, pour autant que celle-ci respecte la propriété et la liberté des autres.
Michel Kelly Gagnon est président de l’Institut économique de Montréal.