Opinion: À qui sert le Bulletin des écoles?
Le président d’une commission scolaire affirme qu’« il est maintenant reconnu que le palmarès des écoles secondaires […] souffre d’une absence de nuances et de précisions qui frise l’aberration ». Il est vrai qu’au lendemain de la publication de notre Bulletin des écoles secondaires, Le Devoir titrait: «Un palmarès sans nuances». Pourtant, selon l’auteure de l’article, «cette année, les chercheurs ont ajouté des variables pour atténuer les différences entre les écoles de régions et de milieux socioéconomiques différents. Le classement comprend donc des variables pour nuancer les résultats. Par exemple, un astérisque est placé à côté du nom des écoles qui comptent beaucoup d’élèves en difficulté. On tient également compte du revenu familial des parents et des efforts de l’école pour favoriser la performance scolaire.» Contradiction flagrante entre le titre et le texte!
De toute évidence, le fait que le Bulletin des écoles secondaires contienne des données non seulement sur la réussite scolaire mais également sur la clientèle et le milieu de l’école n’a pas encore frappé l’esprit de ces critiques. Il leur faudra réagir rapidement. Les bulletins de 462 écoles secondaires sont cette année publiés quasi intégralement par L’actualité. Les lecteurs du magazine saisiront vite que ces déclarations sont niées par le contenu même des 462 bulletins. Il ne sera pas facile de miser, comme l’an dernier, sur l’ignorance des citoyens quant aux données réellement contenues dans le bulletin.
Les nuances y sont!
Car les nuances y sont. Comparons simplement notre bulletin au document du ministère de l’Éducation qui paraît chaque année. Le ministère publie les résultats aux examens et le taux de réussite pour une seule année. Il produit un classement des écoles sur la base du taux de réussite sans tenir compte du milieu socioéconomique ou de la proportion d’élèves en difficulté d’apprentissage. Des résultats… sans rien d’autre. En comparaison, nous produisons des tableaux sur sept ans, minutieusement standardisés, pour toutes les matières sujettes à des examens obligatoires, les taux d’échec et autres indicateurs de résultats. Nous avons inclus cette année le taux de promotion (capacité à faire cheminer sans retard les élèves) pour les deux dernières années de secondaire, les seules offertes systématiquement dans toutes ces écoles. Ces données de promotion n’ont jamais été produites publiquement par le ministère. Figurent de plus le revenu moyen des parents, la proportion d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage ainsi que celle des élèves en retard au début du 4e secondaire. Il est alors possible de juger la difficulté de la clientèle de l’école et de nuancer les conclusions qu’on pourrait tirer trop rapidement de la lecture des résultats de performance scolaire.
Bien plus, ce bulletin est le premier document public qui produise à la fois un portrait réaliste de la performance des élèves d’une école secondaire et une estimation de la valeur ajoutée par l’école.
Un bulletin pour les parents
Le bulletin est conçu d’abord et avant tout pour les parents. Il les aide à se poser des questions, à établir des diagnostics et à prendre des décisions. «Un outil indispensable», d’après la Fédération des comités de parents de la province de Québec. Ils peuvent décider de poser des questions au personnel de l’école, de participer aux réunions de parents, à celles du conseil d’établissement, ou de «voter par les jambes» en exprimant leur droit de choisir l’école pour leurs enfants, comme le prévoit la Loi sur l’instruction publique. Pour cela, ils ont besoin d’un portrait réaliste de leur école. Les parents exigent exactement la même chose à propos de leurs enfants. Ils souhaitent des bulletins d’élève clairs, et ces bulletins d’élève sont des portraits sans concession et généralement sans nuances! Même si un élève ne se résume pas à son bulletin, ce dernier renvoie une image essentielle que le parent doit connaître. Il en va de même des écoles: elles sont davantage que leurs résultats de performance, mais il s’agit d’une partie essentielle de l’école.
Ainsi, le Bulletin des écoles prend bien plus de précautions pour dire les choses que les écoles n’en prennent à l’égard des élèves. Bien sûr, il diffuse publiquement les résultats de performance scolaire. Mais il procure aussi une série de renseignements de grande valeur sur les conditions de pratique de l’école, renseignements qui n’ont jamais été accessibles aux parents. Et pourtant, l’école est en mesure de réagir avec bien plus de maturité que l’élève à des résultats décevants. C’est une organisation qui dispose d’un personnel de direction et de toute une équipe d’enseignants et de spécialistes pour accuser le coup de mauvaises nouvelles, alors que l’élève est un individu dont l’équilibre psychique est en plein développement. N’est-il pas plus vulnérable que son école?
Valeur ajoutée de l’école
Malgré cela, nous prenons des précautions pour aider les écoles dans leur diagnostic. En fait, nous publions un indicateur qui permet au personnel de l’école d’effectuer une correction pour connaître sa valeur ajoutée. Pourquoi alors ne pas se contenter de publier seulement cette valeur ajoutée? Premièrement, parce qu’il s’agit d’une estimation et non pas de faits «durs» comme les résultats scolaires. La valeur ajoutée est calculée grâce à un modèle explicatif dont l’efficacité est de 60%. C’est une amélioration de 21% par rapport à l’an dernier. Un classement de valeur ajoutée basé sur le modèle de l’an dernier aurait été fort différent de celui basé sur le modèle de cette année. On nous reprocherait certainement de publier une recherche aux résultats instables. D’ailleurs, ceux qui connaissent bien cette technique savent que tant que l’efficacité des estimations ne sera pas suffisante, il vaudra mieux publier cet indicateur de valeur ajoutée, sans chercher à classer les écoles sur cette base, et laisser aux écoles le soin d’utiliser cette donnée pour établir des diagnostics plus en profondeur.
Deuxièmement, même si notre estimation de valeur ajoutée était sûre, ne pas publier les résultats scolaires équivaudrait à dissimuler des renseignements aux parents. La valeur ajoutée ne contient en effet qu’une partie de l’information sur les résultats: elle contient seulement la contribution de l’école à ces résultats. Or le milieu et les caractéristiques des élèves de l’école concourent également aux résultats. Les parents s’intéressent forcément à l’ensemble des résultats. Ainsi, une école spécialisée pour handicapés peut présenter la plus grande valeur ajoutée, mais les parents d’enfants sans handicap ont également besoin de connaître les résultats scolaires pour prendre leurs décisions.
Le bulletin sert d’abord les parents mais il peut également servir au personnel de l’école. Il faudra peut-être encore du temps pour que tous apprécient la valeur de cet outil. Encore faut-il accepter au départ l’idée que les parents, comme les cadres scolaires, les directeurs et les enseignants, ont droit à la même information sur les écoles.
Richard Marceau est chercheur associé à l’IEDM et co-auteur du Bulletin des écoles secondaires du Québec.