FORUM / L’étalement urbain n’est pas une tragédie
L’expansion du périmètre urbain est aussi ancienne que la croissance des villes. Toronto et Montréal ne font pas exception. Les deux métropoles canadiennes comptaient moins de 500 000 habitants, il y a un siècle, tandis qu’elles regroupent aujourd’hui respectivement plus de cinq et plus de trois millions d’habitants. Il est donc normal que le périmètre urbanisé de ces villes ait augmenté et qu’avec la prospérité économique du dernier siècle l’on observe un nombre toujours croissant de demeures unifamiliales entourées d’un peu de verdure, car c’est ce que souhaitent la majorité des gens.
L’étalement urbain est cependant accusé d’être la cause de tous les maux de notre début de siècle, du saccage des terres agricoles au dépérissement des villes centrales en passant par le réchauffement de la planète, l’accroissement des inégalités et l’obésité des Nord-Américains! L’expansion de la banlieue n’a cependant rien d’une tragédie.
Agriculture
Tout d’abord, la croissance urbaine ne menace pas notre approvisionnement agricole et la qualité de notre environnement, car on produit aujourd’hui beaucoup plus sur un même lopin de terre qu’il y a quelques décennies à peine. Par exemple, les rendements céréaliers ont augmenté en moyenne de plus de 150% depuis les années 1950 et, en tenant compte de l’inflation, le prix moyen de la nourriture est aujourd’hui le tiers de ce qu’il était à cette époque. Le résultat de ces gains de productivité, c’est que l’étalement urbain n’a eu aucun effet sur le volume de superficies boisées en Amérique du nord, car plusieurs exploitations agricoles, qui ne donnaient que des rendements médiocres, sont redevenues des forêts.
L’expansion des banlieues n’est pas non plus un jeu à somme nulle qui se fait au détriment des quartiers centraux. Il suffit de voir à quel point les promoteurs s’empressent de construire des développements résidentiels et des commerces de détail dans les zones libres des villes centres canadiennes dès que l’on modifie les règles de zonage pour s’en convaincre. (Le cas des villes américaines est plus complexe, notamment en raison de la criminalité, de la médiocrité des écoles publiques et de certaines réglementations environnementales qui découragent l’utilisation des anciens terrains industriels.)
L’automobile
La principale cible des opposants à l’étalement urbain est cependant la préférence très nette de la majorité des consommateurs pour l’automobile comme mode de transport. Encore là, l’observation des faits permet de nuancer certaines idées reçues.
Premièrement, l’augmentation du nombre d’automobiles n’entraîne pas automatiquement une détérioration de la qualité de l’air de nos villes, car la technologie des voitures est bien plus importante que leur nombre. Malgré une augmentation considérable du nombre d’automobiles depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la qualité de l’air des métropoles d’Amérique du nord s’est considérablement améliorée pendant cette période.
Deuxièmement, le niveau de pollution émis par une voiture dépend davantage de la nature des déplacements que de la distance. Une autoroute achalandée, mais où les véhicules circulent à une vitesse élevée et constante, cause beaucoup moins de pollution qu’une artère urbaine où les véhicules roulent moins vite et s’arrêtent fréquemment. Paradoxalement, la construction d’autoroutes supplémentaires rendant la circulation plus fluide peut réduire la pollution automobile.
Troisièmement, plusieurs entreprises se sont relocalisées près du domicile banlieusard de leurs employés. Le résultat, c’est que le temps requis en moyenne par les Nord-Américains pour faire la navette entre leur domicile et leur lieu de travail n’a pas augmenté au cours des dernières décennies. Plusieurs intervenants proposent d’adopter des mesures draconiennes pour contrer l’étalement urbain. Il leur appartient toutefois de prouver que les choix résidentiels d’une majorité de consommateurs sont véritablement une tragédie plutôt qu’une maladie imaginaire.
Pierre Desrochers est directeur de la recherche à l’IEDM.