La croissance économique en Irlande
La réduction du fardeau fiscal des particuliers et des entreprises produit une croissance phénoménale.
Le 9 mai dernier, notre institut, en collaboration avec le Cercle canadien, a reçu l’honorable John Bruton. Ce dernier, ancien premier ministre, est un important artisan des réformes économiques qui ont généré ce qui est désormais connu comme le «miracle» celte. Cette expression désigne la période de croissance économique phénoménale que connaît l’Irlande depuis maintenant plus de douze ans.
Le lecteur notera que, si nous mettons le mot miracle entre guillemets, c’est que, comme l’a clairement expliqué M. Bruton, cette croissance ne découle pas d’un résultat imprévu ou miraculeux; elle est au contraire la suite logique de facteurs à court et à long terme(1). On trouve d’ailleurs cette mise au point dans la version intégrale de son discours, ailleurs sur le site de l’IEDM.
Ce miracle est donc basé, notamment, sur l’allégement du fardeau fiscal des entreprises et des particuliers, la réduction des dépenses publiques et une croissance modérée de la masse salariale. De façon générale, un ensemble de politiques a été adopté pour augmenter la motivation à travailler et à investir. Autrement dit: on a accru la productivité et, par conséquent, la production et le niveau de vie. En fait, il y a à peine une quinzaine d’années, les Irlandais étaient deux fois plus pauvres que les Canadiens, alors qu’ils sont aujourd’hui plus riches(2).
Ainsi, entre 1987 et 1997, le PIB réel de l’Irlande a crû au taux moyen de 6% par an, soit l’un des plus hauts taux du monde industrialisé. À titre de comparaison, le taux de croissance annuelle moyen au Canada a été de 2,5%. En 1999, le taux de croissance du PIB irlandais a été de plus de 8%; parallèlement, le taux de chômage a diminué de 17% en 1987 à 6% en 1999. Le taux d’imposition moyen des Irlandais (compte tenu de l’impôt sur le revenu et des cotisations) est passé de 35% des gains pour un célibataire moyen en 1985 à 28,6% en 1996, selon une étude de l’OCDE. Autrement dit, les revenus des travailleurs ont augmenté. À noter que, de 1988 à 1993, le taux d’imposition des travailleurs canadiens a au contraire augmenté de trois points de pourcentage. Le taux d’imposition des profits réalisés par les entreprises opérant en Irlande est quant à lui de 12,5%. Comme le soulignait avec sagesse M. Bruton, mieux vaut 12,5% de quelque chose que 100% de rien du tout. Au Canada, le taux réel pour l’impôt des sociétés serait de 25% dans le secteur manufacturier et de 33% dans le secteur des services, selon le C.D. Howe.
Ce qui précède ne signifie pas pour autant que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes au pays de John Bruton. Ainsi, l’Irlande a connu depuis quelque temps une inflation élevée, surtout si l’on compare la moyenne européenne. En particulier, la flambée du prix des maisons à Dublin a affaibli le pouvoir d’achat des travailleurs.
De plus, ceux pour qui l’égalité des résultats est le principal standard pour évaluer si une chose est bonne ou mauvaise devront aussi noter que, entre 1992 et 1998, les profits et les revenus d’intérêt et dividendes ont crû de 116% alors que les salaires n’ont augmenté «que» de 65%. Il faut dire que les travailleurs canadiens auraient bien aimé devoir se contenter d’une augmentation salariale de 65%. En effet, à titre de comparaison, durant la même période, leur salaire n’a augmenté que de 22%.
Évidemment, il faut prendre garde au piège que comporte l’utilisation de modèles, car on peut facilement sombrer dans une analyse réductrice ou simpliste. Le Canada n’est pas l’Irlande, et importer en totalité toutes les politiques économiques de ce pays ne serait probablement pas approprié.
Néanmoins, bien qu’il soit vrai que l’économie canadienne va bien depuis quelques années, un fait demeure incontournable: la création de richesse au Canada est aujourd’hui plus faible qu’elle l’a déjà été par le passé. De plus, relativement parlant, la croissance économique canadienne est significativement plus faible que celle que l’on retrouve dans plusieurs autres juridictions du monde occidental où la taille de l’État et les charges fiscales ont diminué (voir à ce sujet notre publication intitulée Taille de l’État et richesse des nations).
La voie de la croissance ne relève pas de l’astrophysique nucléaire ni des mathématiques quantiques. Certaines politiques publiques génèrent bel et bien davantage de richesse que d’autres. Et le cas de I’Irlande est là pour le prouver.
Notes
1. Voir à ce sujet le remarquable ouvrage intitulé Road to Growth: How Lagging Economies Become Prosperous, de Fred MacMahon (Atlantic Institute for Market Studies, 2000).
2. Le PIB réel par tête canadien était 2,5 fois supérieur au PIB irlandais vers le milieu des années 1980, alors que, maintenant, il est inférieur au PIB irlandais.
Michel Kelly-Gagnon est président de l’IEDM, Norma Kozhaya est économiste à l’IEDM.