L’entente sur le bois d’oeuvre défie la logique économique
Malgré l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, le bois d’oeuvre canadien fait toujours l’objet de restrictions sur le marché américain.
Un accord signé en 1996 entre les deux pays pour imposer des quotas sur les exportations canadiennes prend fin le 31 mars 2001 et les principaux intéressés fourbissent leurs armes pour influencer les gouvernements, qui devront décider bientôt si oui ou non cet accord sera renouvelé.
À l’origine, ce sont les pressions des producteurs américains de bois d’oeuvre qui ont amené Washington à exiger une telle entente. Selon eux, leurs concurrents canadiens profitent d’avantages indus en payant des redevances minimales pour le bois coupé dans les forêts publiques, ce qui est l’équivalent d’une subvention. Les producteurs d’ici se sont toujours défendus d’être indûment favorisés et affirment payer l’équivalent du prix du marché.
Il est intéressant de constater que des chercheurs américains arrivent aux mêmes conclusions et dénoncent ce système de quotas qui, comme toutes les entraves au commerce, crée des distorsions dans le marché et profite à certains producteurs, aux dépens des consommateurs.
Dans une étude intitulée Nailing the Homeowner: The Economic Impact of Trade Protection of the Softwood Lumber Industry (L’exploitation des propriétaires de maison: effet économique du protectionnisme dans l’industrie du bois d’oeuvre), publiée par l’Institut Cato de Washington il y a quelques mois, trois experts du commerce s’attaquent à l’accord, le qualifiant de «combine au profit de quelques producteurs de bois d’oeuvre des États-Unis aux dépens de millions de travailleurs des industries utilisatrices de bois d’oeuvre, sans mentionner les millions d’acheteurs de maisons américains».
Consommateurs pénalisés
En forçant une diminution artificielle de l’offre, donc une hausse artificielle des prix, ce système nuit à tous ceux qui consomment le bois d’oeuvre. Les chercheurs estiment que les restrictions à l’importation font grimper les prix de 50 $ US à 80 $ US par millier de pieds-planche, ce qui ajoute entre 800 $ US et 1 300 $ US au coût d’une maison neuve. Ainsi, des centaines de milliers de ménages décident chaque année qu’ils n’ont pas les moyens de s’acheter une propriété neuve.
Les producteurs américains qui appuient le système de quotas et leurs alliés au Congrès dénoncent les soi-disant subventions reçues par les producteurs d’ici. Les chercheurs de l’Institut Cato croient pourtant que «rien ne démontre que les producteurs canadiens profitent d’un avantage injuste par rapport à leurs concurrents américains». Ils disent aussi que «cette prétention n’est pas assez convaincante pour justifier l’imposition aux utilisateurs américains de coûts artificiellement gonflés par les barrières commerciales».
Dans les faits, ce sont les accusateurs eux-mêmes qui bénéficient de largesses publiques. Ces quotas équivalent en effet à une subvention aux producteurs protégés de la concurrence. Et le plus ironique est que les travailleurs américains des secteurs défavorisés par cette barrière commerciale – tels les ouvriers des cours à bois ou de la construction et les détaillants de matériaux de construction – sont 25 fois plus nombreux que les travailleurs des entreprises de bois d’œuvre, y compris les sociétés d’exploitation forestière et les scieries.
Bien sûr, ce ne sont pas seulement les consommateurs et les travailleurs américains qui profiteraient d’une levée des quotas et d’un retour au libre marché dans ce secteur, mais aussi nos producteurs. L’industrie du bois de sciage est l’un des piliers de l’économie régionale au Québec. Elle fait travailler 35 000 personnes, en plus de constituer la principale activité économique d’une centaine de communautés.
Les barrières commerciales n’ont pas provoqué jusqu’ici une diminution de la production, ni du nombre d’emplois, parce qu’une substitution de marchés s’est effectuée. L’accord ne touche en effet que les quatre principales provinces productrices, soit le Québec, l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique. Les six autres – qui ne compte que pour 5% de la production canadienne – peuvent exporter à leur guise et profiter des prix plus élevés aux États-Unis.
Les producteurs du Québec peuvent par ailleurs augmenter leurs ventes dans ces six provinces, où la demande a été forte ces dernières années, pour compenser les restrictions sur le marché américain.
Toutefois, les quotas ne sont pas sans conséquence. La différence de prix artificielle créée entre les deux marchés résulte en une perte de revenus pour nos producteurs. À cela s’ajoutent les multiples tracasseries administratives causées par un système complexe de gestion bureaucratique qui défie la réalité du marché.
Bref, cet accord protectionniste est défavorable aussi bien pour l’économie américaine que pour l’économie canadienne. Il ne s’agit pas d’une bataille entre intérêts américains et canadiens, mais entre des intérêts particuliers et l’intérêt général.
Une opposition se fait heureusement sentir des deux côtés de la frontière et il est à espérer que les nouveaux gouvernements en fonction dans les deux pays réussiront à s’entendre pour étendre le libre-échange à ce secteur.
Michel Kelly-Gagnon est président de l’IEDM.