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Textes d'opinion

Unilingue? No way!

Depuis quelques semaines, la question du français au travail soulève les passions. La présence de l’anglais est critiquée, le bilinguisme est dénoncé et l’application rigoureuse de la loi 101 est revendiquée.

Je suis d’accord: les Québécois ne devraient pas être bilingues. Ils devraient être trilingues, voire même polyglottes! Voici pourquoi.

À l’instar de plusieurs langues, le français contient une dimension identitaire. Sur les 336 millions de locuteurs du français, il y a en 220 millions (65 %) pour qui c’est la première langue. Par contre, alors que certaines estimations portent à 1,5 milliard le nombre de locuteurs de l’anglais, à peine un cinquième d’entre eux déclarent qu’il s’agit de leur première langue. Voilà qui confirme ce que nous savons tous, mais que plusieurs refusent d’accepter, à savoir que l’anglais est la langue internationale de facto, un moyen de communication universel, et c’est dans ce contexte qu’il faut analyser la volonté de faire du Québec une société unilingue française.

Évacuer totalement l’anglais, voire en interdire l’usage à coup de lois et de règlements, envoie comme signal que l’apprentissage de cette langue est inutile. Certes, on peut faire carrière au Québec en baragouinant quelques mots d’anglais. Toutefois, être unilingue français, c’est se priver du moyen de communication le plus répandu, c’est limiter et complexifier les échanges, c’est s’isoler.

Bouder l’anglais, c’est également réduire sa propre mobilité et, par le fait même, restreindre l’éventail de possibilités qui s’offrent à nous. L’économie québécoise stagne? Le marché du travail est léthargique? Le Québécois bilingue peut, s’il le souhaite, facilement travailler n’importe où au Canada et revenir chez lui au moment qu’il juge opportun. L’unilingue est captif de la Belle Province, ce qui le rend tributaire du contexte politique et économique, et donc relativement plus vulnérable.

Reconnaissons-le, maîtriser la langue de Shakespeare constitue un atout précieux dans un univers de plus en plus concurrentiel. Dans le domaine scientifique, par exemple, les revues les plus prestigieuses dans lesquelles tout chercheur espère publier sont essentiellement en anglais. Il est donc ridicule d’associer l’apprentissage de l’anglais à une quelconque forme de soumission ou à l’expression d’un soi-disant complexe d’infériorité. Au contraire, les langues, c’est comme les diplômes, plus on en possède, mieux c’est.

À l’époque où les « Canadiens français » étaient exclus du monde des affaires et de la finance ainsi que des postes de haute direction, il régnait un sentiment anti anglophone compréhensible. Par contre, ce temps-là est révolu. Les Québécois francophones se distinguent à tous les niveaux et dans tous les domaines. La mondialisation offre des occasions extraordinaires. Ce serait dommage qu’elles nous échappent parce que nous avons cédé aux manipulations émotives de ceux qui ont remplacé la haine de l’anglophone par la haine de l’anglais.

Finalement, n’est-il pas exagéré d’associer la maîtrise de l’anglais à la perte de l’identité québécoise? Si plus d’un milliard de personnes ont appris l’anglais sans perdre leur identité, pourquoi les Québécois feraient-ils exception? L’identité québécoise n’est tout de même pas si fragile que ça!

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l'Institut économique de Montréal.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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