Retraites : capitalisons comme au Québec pour soulager les contribuables
Un regard vers nos cousins du Québec nous invite à cesser d’opposer répartition et capitalisation, d’autant plus que le recours à une capitalisation épaulant la répartition s’est avéré bénéfique pour l’enrichissement des actifs et retraités de la province québécoise. Le système de retraite partiellement capitalisé du Québec mérite que l’on s’y attarde et que l’on en tire des leçons.
Première particularité, le Régime des rentes du Québec (RRQ) est conçu pour être à l’équilibre chaque année et sur les 50 prochaines années. Aucun rapport avec le régime général d’assurance vieillesse français, déficitaire 26 fois sur les 30 dernières années. Deuxième particularité, ce régime québécois destiné aux salariés fonctionne conjointement en répartition et en capitalisation. Il dispose de réserves significatives, représentant 5 ans de prestations, tout le contraire du régime général français fonctionnant au jour le jour sans rien mettre de côté. Les réserves québécoises sont placées auprès de la Caisse de dépôt et placement, qui les a bonifiés en moyenne à plus de 8 % par an sur les 10 dernières années. Conséquence : 30 % des recettes du régime québécois sont générées par les revenus liés aux placements. Cette prévoyance permet de limiter le recours aux cotisations patronales et salariales, nuisibles pour la compétitivité et le pouvoir d’achat des cotisants. Le RRQ, capitalisé à hauteur de 30 %, est donc bien plus robuste et rentable que notre régime général, fonctionnant intégralement en répartition. Nous gagnerions à généraliser ce mode de fonctionnement, déjà appliqué avec succès par les pharmaciens français (CAVP).
On retrouve un même degré de prévoyance dans le secteur public québécois, avec là encore une capitalisation collective à la Caisse de dépôt et placement. Cette institution fait fructifier les cotisations des employeurs (FARR) et employés publics (RREGOP). Ce mode de fonctionnement, qui rappelle celui qui existait en France jusqu’en 1853, permet d’économiser l’argent public. Les pensions des employés d’Etat sont en effet financées en partie par les gains des placements. Une démarche plus économe qu’en France où les retraites des fonctionnaires sont financées par les impôts, ce qui pèse sur la compétitivité et le pouvoir d’achat.
Au global, la Caisse de dépôt et de placement du Québec (CDPQ) a investi l’équivalent de 140 % du PIB au profit des retraités et futurs retraités. Fondée en 1965, la Caisse s’est fixé des règles strictes en matière de transparence et d’intégrité. Son mandat est de gérer le capital des déposants en optimisant le rendement des cotisations et en dynamisant l’économie de la province. La CDPQ est soutenue dans sa mission par l’ensemble de l’échiquier politique québécois qui la perçoit comme un acteur œuvrant pour l’intérêt général. Au-delà de la performance et de la dispersion des risques générées par le recours à l’épargne, la capitalisation permet, en effet, d’irriguer l’économie québécoise, en soutenant le développement de la Belle Province.
Le modèle québécois n’est pas parfait pour autant. A titre d’exemple, l’on pourrait notamment souhaiter la mise en concurrence de la CDPQ avec des gestionnaires privés hautement qualifiés pour la gestion des fonds du Régime des rentes du Québec ou encore une définition plus serrée de la portion de son double mandat qui vise à favoriser le « développement économique » au Québec. Ceci étant dit, la supériorité de l’approche québécoise par rapport à la situation qui prévaut actuellement en France nous semble assez évidente.
Ironiquement, le modèle québécois ressemble étrangement à l’organisation initiale des retraites françaises, dans le public comme le privé. Les fonctionnaires s’étaient organisés dès le XIXème siècle pour gérer leurs retraites par l’intermédiaires des caisses de retenues. C’était avant que l’Etat ne récupère leurs capitaux et verse les pensions directement par le budget à partir de 1853, avec les surcoûts que l’on connait. De même, les mutuelles du secteur privé versaient les cotisations retraite à la Caisse des dépôts qui les faisait fructifier, comme de nos jours au Québec.
Seules quelques institutions clairvoyantes ont réussi à conserver leurs capitalisations, mises à mal par l’inflation des années 1930, la mise en place de la répartition en 1941 et sa généralisation en 1945. C’est le cas de la Banque de France et du Sénat, qui financent une part significative des retraites de leurs personnels grâce aux marchés financiers, ce qui permet d’économiser des millions d’euros d’argent public chaque année. C’est aussi le cas des pharmaciens. A l’instar de nos amis québécois, ils ont compris dès 1962 qu’il fallait mettre en place une dose de capitalisation pour épauler la répartition.
De son côté, l’Etat s’est montré particulièrement imprévoyant, dans une France où les retraites expliquent 60 % de la hausse des dépenses publiques depuis 1960. L’Etat a attendu 1999 pour créer le Fonds de réserve des retraites (FRR) et 2003 pour créer l’Etablissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP). Il a passé son temps à dépouiller le premier, qui pèse moins du quart de ce qui était prévu, et a tenté récemment d’éteindre le second. Dans tous les cas, c’est contraire à toute logique économique. Les capitaux placés par le FRR rapportent bien plus que le coût de la dette et cette institution a permis de créer 12 milliards de valeur pour le contribuable sur les 10 dernières années. De même, l’ERAFP, le fonds de pension français le plus prometteur, a créé 15 milliards d’euros de richesse depuis 2006. Sa réussite, comparable au succès québécois, devrait nous inciter à généraliser la capitalisation collective, au lieu de la brider. La vraie réforme des retraites, ce serait que l’Etat se mettre à provisionner une partie des promesses qu’il fait au titre des retraites des fonctionnaires et que l’Agirc-Arrco se dote d’un fonds de pension en capitalisation. Des enjeux qui devraient être au cœur de campagne la présidentielle.
Michel Kelly-Gagnon is President and CEO of the MEI and Nicolas Marques is General Director of the Institut économique Molinari. The views reflected in this opinion piece are their own.