Qu’est-ce que le marxisme culturel et la signification du terme «woke»?
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Des gens d’affaires québécois m’ont récemment demandé de leur expliquer qu’elle est la signification du terme « woke » ainsi que le sens du concept de « marxisme culturel », et pourquoi ce dernier est devenu très prévalent, y compris au sein de médias que l’on pourrait par ailleurs à première vue ne pas associer au marxisme culturel.
« Woke » est un terme de slang américain dérivé du verbe « wake » (s’éveiller). Il est devenu populaire ces dernières années pour désigner les personnes qui sont « éveillées » ou « conscientisées » à toutes les injustices, et ce dans la perspective du marxisme culturel.
Le marxisme culturel est quant à lui un mouvement philosophique qui tire son origine dans les écrits du théoricien marxiste italien Antonio Gramsci (1891-1937) et des théoriciens de l’École de Francfort. Il a graduellement remplacé depuis plusieurs décennies le marxisme économique plus traditionnel et nettement plus connu, qui misait sur l’éveil des classes ouvrières.
Essentiellement, les marxistes culturels ont constaté que les « prolétaires » sont souvent conservateurs sur le plan social et culturel et qu’il est difficile de les mobiliser pour faire la révolution. Les marxistes culturellement misent donc désormais sur toutes les autres minorités réellement ou supposément « opprimées » : raciales, religieuses, culturelles, sexuelles, etc. Ce type de marxisme a obtenu énormément de succès, notamment parce que la plupart des gens ne disposent pas des outils analytiques voulus pour en déceler la présence.
Les marxistes culturels étaient déjà très présents sur les campus universitaires dans les années 1980. Leur perspective et leur discours sont maintenant repris partout, dans les médias, le milieu des arts, les organismes communautaires, le domaine du droit, et même, de plus en plus, le domaine des affaires, notamment avec l’instauration des règles pour promouvoir les femmes et les minorités sexuelles et raciales. C’est la montée rapide de ce mouvement ces dernières années qui explique qu’on entend constamment parler des questions de race, genre, etc.
Il n’y a évidemment aucun problème à ce que plus de femmes et de personnes appartenant à des minorités soient embauchées et promues dans des positions de pouvoir dans la mesure où elles ont les compétences nécessaires. Au contraire, tout le monde est d’accord qu’il y a eu de la discrimination dans le passé et que c’est une excellente chose si ces préjugés disparaissent maintenant. Qui plus est, plusieurs études démontrent qu’un employeur qui peut compter sur une main-d’oeuvre diversifiée en sort gagnant. Mais ces préjudices disparaissent justement graduellement depuis des décennies dans une société libérale qui met l’accent sur la valeur et la dignité des individus plutôt que de les juger sur la base de caractéristiques collectives ou superficielles, telle, par exemple, la couleur de la peau.
Mais les adeptes du marxisme culturel voient les choses très différemment. Dans leur perspective, nous ne sommes pas d’abord des individus, mais plutôt des composantes ou sous-composantes de divers groupes. Le marxisme classique divisait le monde entre prolétaires et exploiteurs capitalistes. Le marxisme culturel, lui, le divise entre personnes appartenant à des catégories privilégiées (hommes, blancs, hétérosexuels, etc.) et personnes appartenant à des groupes opprimés. Il a également introduit le concept d’« intersectionalité », terme qui désigne le recoupement chez une personne de différentes identités et différents niveaux d’oppression. Ainsi, selon cette logique, une femme noire lesbienne sera opprimée et exploitée de trois façons qui s’additionnent, et ce même si elle devait être, par exemple, une talentueuse et prospère comédienne et actrice de cinéma.
Ce mouvement est explicitement antilibéral et anticapitaliste dans le sens où il s’appuie sur une critique radicale des sociétés libérales occidentales, considérées comme patriarcales, racistes, hétérosexistes et oppressives de diverses manières, notamment parce qu’elles ont des majorités blanches et parce que l’économie de marché ne peut fonctionner qu’au profit de la majorité et en exploitant les minorités.
Les marxistes culturels veulent évidemment que l’État contrôle ultimement l’économie et redistribue la richesse au profit des minorités opprimées, comme les marxistes traditionnels. Leur stratégie pour arriver à cette fin est différente de celle de leurs prédécesseurs, mais le but ultime est le même.
Les marxistes culturels considèrent que quiconque appartient à une catégorie privilégiée est un oppresseur, qu’il le veuille ou non, même de façon inconsciente. Une personne de race blanche est raciste par définition. Selon cette logique tordue, un homme est sexiste, par définition, et responsable de tous les actes sexistes dans la société. L’individu n’a plus d’autonomie dans cette perspective, puisque sa condition et ses croyances sont toujours déterminées par les « structures d’oppression » de la société.
De plus en plus d’organisations, privées et publiques, forcent maintenant leurs employés à suivre des formations dans lesquelles ils devront être conscientisés non seulement aux problèmes de racisme et autres rapports d’oppression qui persistent dans leur milieu de travail, mais devront reconnaître leur condition de privilégiés et adopter ouvertement l’idéologie du marxisme culturel.
La liberté d’expression, un aspect fondamental des sociétés libérales occidentales, n’a non seulement pas vraiment d’importance pour les marxistes culturels, elle est une façon de permettre aux oppresseurs de continuer de s’exprimer et doit donc être restreinte. Quiconque s’oppose aux excès du marxisme culturel (n’appuie par exemple pas le mouvement parfois violent Black Lives Matter, dont les fondatrices sont explicitement marxistes) est ainsi immédiatement étiqueté comme raciste, homophobe, etc.
D’ailleurs même si des chercheurs sérieux comme le Britannique Douglas Murray ou le Canadien Jordan Peterson utilisent l’expression « marxisme culturel » depuis des années et ont critiqué ce mouvement, ses partisans ont trouvé un truc habile pour faire taire les critiques. Selon eux, il n’existe en fait pas de mouvement marxiste culturel tel que décrit dans le présent article. Ils prétendent qu’il s’agit d’une théorie du complot propagée par des gens d’extrême-droite qui défendent leurs privilèges.
Certains affirment même que l’utilisation du terme est nécessairement une preuve d’antisémitisme et de sympathie envers le néonazisme, parce que la plupart des théoriciens de l’École de Francfort étaient juifs, ce qui est évidemment totalement absurde.
À mon avis, le terme est tout à fait légitime et décrit un mouvement idéologique réel, qui va sans doute continuer de faire des vagues pour un bon bout de temps. Il est donc utile de savoir de quoi il s’agit, et de comprendre pourquoi il constitue une menace sérieuse pour ceux qui croient que les valeurs de nos sociétés libérales occidentales doivent être défendues.
Michel Kelly-Gagnon is President and CEO of the MEI. The views reflected in this op-ed are his own.