Quand les subventions tuent les entreprises
Lion Électrique s’ajoute à la longue liste des entreprises qui ont traîné la patte après avoir reçu une subvention au Québec.
On a vu le gouvernement tenter de détourner l’attention de cet échec le plus récent en rejetant la faute sur toutes sortes de facteurs externes, au lieu de remettre en question le mérite d’envoyer autant d’argent public vers une poignée d’entreprises. Or, dans de nombreux cas, les subventions et le favoritisme de l’État contribuent à la perte d’une entreprise. En économie, cela s’appelle le risque moral.
Lorsque le gouvernement envoie de l’argent à une entreprise, ce qu’il fait revient à accaparer une part du risque d’investissement. En mettant à risque notre argent à tous et à toutes, il se joint aux nombreux investisseurs privés qui risquent leur propre argent dans un projet.
Du point de vue de l’entreprise subventionnée, cela revient à un vote de confiance envers ses projets, et ce, de la part d’une organisation qui détient des moyens financiers considérables.
On comprendra donc que ses dirigeants célèbrent un peu la nouvelle lorsque celle-ci arrive. Or, l’effet de ce vote de confiance ne se fait pas seulement sentir dans les coffres d’une entreprise. Il se manifeste aussi dans sa relation au risque.
Avec le temps, une perception s’installe voulant que, après avoir mis à risque autant d’argent, le gouvernement ne les laissera pas tomber. Cette perception est encore davantage renforcée lorsque le gouvernement intervient pour sauver l’entreprise ou ses projets lorsque ceux-ci sont en difficulté.
Or, quand les gestionnaires d’une entreprise commencent à percevoir que le gouvernement leur viendra toujours en aide en cas de difficulté, aucun risque ne devient trop gros pour eux.
Quand les pertes sont couvertes
Une bonne analogie serait d’imaginer un scénario où, chaque fois que vous allez au casino, vous conservez vos gains, mais que c’est votre voisin qui couvre vos pertes. Dans un tel cas, la tentation serait sûrement très forte de faire des mises bien plus risquées.
Il y a fort à parier qu’après un certain temps avec cet arrangement, votre voisin cessera de venir à votre rescousse, estimant que l’aventure lui aura coûté trop cher. C’est un peu la même chose qui finit par se passer – quoique bien trop tard – avec les subventions.
Ce phénomène de risque moral a été bien en vue dans les déboires récents de Lion Électrique.
Depuis 2008, ce constructeur d’autobus scolaires électriques a reçu plus de 200 millions de dollars en subventions. À cela s’ajoutent des dizaines de millions de dollars de subventions du ministère des Transports pour pousser les différentes entreprises en transport scolaire à se procurer des autobus électriques Lion, notamment.
Il n’en fallait pas plus pour que s’installe cette perception, chez les gestionnaires de l’entreprise, que le gouvernement serait toujours là pour les rattraper si l’entreprise faisait des faux pas.
S’en est suivie une période de croissance effrénée, où l’entreprise a multiplié les projets risqués.
Elle a ouvert une usine aux États-Unis, cherchant à pénétrer cet énorme et potentiellement lucratif marché. Elle s’est lancée dans le développement de projets de camions de livraison électrique, de camions à ordures électriques, de minibus électriques, etc. Comme le racontait un ancien employé : « Ils ont voulu attaquer tous les marchés en même temps ! »
Si chacun de ces projets pouvait avoir du potentiel, et ne constituait pas en soi une menace à la santé financière de l’entreprise, mener tous ces projets-là de front était trop pour la jeune entreprise. Cela signifiait que ses meilleurs talents en recherche et développement se trouvaient éparpillés, alors que ses ressources étaient à leur limite. Le seul projet de minibus électrique, par exemple, a coûté 60 millions de dollars à l’entreprise avant qu’il soit mis au rancart.
Dans d’autres entreprises, les gestionnaires auraient tiré la sonnette d’alarme, prétextant que tant de projets risqués en même temps menaçaient la survie de l’entreprise. Cependant, chez Lion, tel que le rapporte un ancien employé, « [les gestionnaires] pensaient qu’avec l’argent du gouvernement ou l’entrée en Bourse, [le PDG] aurait pu régler les problèmes ».
Récemment, Lion n’est pas la seule entreprise à avoir fait les frais du risque moral. Northvolt, par exemple, a préconisé une approche de croissance trop rapide en voyant l’appétit des gouvernements pour la subventionner. Auparavant, c’était Bombardier qui menait de front les projets de la C Series, du Global 7000 et du Learjet 85, ce qui a presque causé sa perte.
En les subventionnant, les politiciens croyaient aider ces entreprises. Ils ont plutôt altéré leur relation au risque, si bien que, sur le long terme, ces subventions ont tué ces entreprises ou ont failli le faire.
Gabriel Giguère is a Senior Policy Analyst at the MEI. The views reflected in this opinion piece are his own.