Peut-on encore aspirer à bâtir de grandes choses?

C’est rendu particulièrement difficile de bâtir de grandes choses au Canada.
Qu’il s’agisse du chemin de fer vers l’Ouest, des barrages de la Baie-James ou des grandes mines des environs de Fermont, il y a fort à parier que bien peu de ces projets verraient le jour dans le contexte réglementaire actuel.
Aujourd’hui, qu’il s’agisse de l’expansion d’installations portuaires en Colombie-Britannique, de projets de capture et d’enfouissement de CO2 en Alberta, ou encore d’éoliennes en haute mer à Terre-Neuve-et-Labrador, les grands projets se trouvent la plupart du temps embourbés dans les processus décisionnels du ministère fédéral de l’Environnement.
Même bâtir une poignée de bungalows à Candiac peut s’avérer être une tâche herculéenne, si les fonctionnaires fédéraux trouvaient ne serait-ce qu’une grenouille sur les terrains convoités.
Bien que les blocages ne proviennent pas que d’une seule loi, il importe de reconnaître qu’une part disproportionnée du blâme revient à l’adoption de la Loi sur l’évaluation d’impact en 2019.
Depuis son adoption, un seul projet a réussi à naviguer avec succès au travers des méandres de ce processus.
Il s’agit du projet de terminal gazier Cedar LNG à Kitimat, en Colombie-Britannique, mené en partenariat par la nation Haisla et l’entreprise Pembina Pipeline Corporation. Il aura fallu trois ans et demi pour passer au travers de ce qui ne représente qu’une seule des nombreuses étapes à franchir avant que la première pelletée de terre ne puisse avoir lieu.
Pendant ce temps, 17 autres projets demeurent figés, et représentent autant d’énormes projets miniers dans le Nord québécois ou dans les montagnes de l’Ouest, qu’une digue et un pont permettant de relier une communauté isolée au beau milieu d’un lac en Ontario.
Le processus est devenu une représentation parfaite de ce qui se produit lorsqu’on essaie de faire trop de choses en même temps.
Alors que la législation précédente se contentait d’évaluer l’impact environnemental d’un projet afin d’en minimiser les effets, la nouvelle loi essaie d’intégrer en un seul procédé l’évaluation de l’impact sur l’environnement, la société, la santé, les genres et les communautés autochtones.
On comprendra qu’en essayant de bien faire tous ces éléments en même temps, le processus finit plutôt par ne rien faire du tout, expliquant les délais hors normes du processus d’approbation actuel.
Au lieu de prendre 300 jours, comme prévu par la Loi, le processus d’évaluation d’impact du projet Cedar LNG s’est plutôt étiré à 1026 jours.
Alors que le Canada s’apprête à avoir un nouveau gouvernement, revoir et simplifier la réglementation afin que nous puissions bâtir de grandes choses à nouveau devra être l’un des premiers éléments au menu.
L’autre problème de ce nouveau processus est sa politisation.
Car, contribuant à la lourdeur et la lenteur du processus, la Loi sur l’évaluation d’impact permet aussi au ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, de s’immiscer dans le processus et allonger ou suspendre la progression de certaines étapes pour une série de raisons différentes.
C’est notamment cette politisation qui a fait en sorte que le processus d’évaluation du projet Cedar LNG a pris plus de trois fois plus longtemps que le délai prévu dans la loi.
Le résultat est qu’aujourd’hui, ceux et celles désirant investir dans de grands projets de transport, de mise en valeur de nos ressources naturelles et d’infrastructures font face à un risque d’investissement bien plus élevé qu’avant.
Dans le secteur de l’énergie, par exemple, 68% des investisseurs disent être préoccupés par la lourdeur de la réglementation environnementale canadienne, et 59% par les coûts que cette réglementation impose. Chez nos voisins du Sud, ces proportions sont respectivement de 41% et 42%.
Devant le choix d’investir ici – avec les coûts, les délais et les risques que cela implique – ou investir ailleurs, on ne sera pas surpris d’apprendre que les investisseurs boudent de plus en plus le Canada.
Alors que les investissements mondiaux dans les domaines pétroliers et gaziers ont crû de près de 25% au cours de la dernière décennie, ceux effectués au Canada se sont contractés de 25% au cours de la même période.
Il ne s’agit ici bien sûr que d’un seul des nombreux secteurs visés par le processus d’évaluation d’impact. On peut se douter cependant que l’incertitude créée par ce nouveau processus ne touche pas que l’industrie pétrolière et gazière.
Qu’il s’agisse du secteur des minéraux rares, des différents acteurs dans le domaine des transports, voire des producteurs d’électricité, tout projet d’envergure fait les frais de ce processus brisé (et les délais s’étirent).
Alors que le Canada s’apprête à avoir un nouveau gouvernement, revoir et simplifier la réglementation afin que nous puissions bâtir de grandes choses à nouveau devra être l’un des premiers éléments au menu.
Daniel Dufort is President and CEO of the MEI. The views reflected in this opinion piece are his own.