Lettre à ceux qui ignorent ce qu’est l’écologisme de marché
Saviez-vous qu’un grand nombre d’indicateurs environnementaux suggèrent que les choses s’améliorent ? On nourrit un nombre plus grand d’individus avec davantage de calories en utilisant environ la même superficie de terres agricoles. Depuis les années 1920, plusieurs pays ont entamé une transition forestière après plusieurs décennies de saccage des forêts. En fait, au niveau mondial, la transition forestière est si forte depuis les années 1980 que le couvert forestier mondial s’est agrandi. Les émissions de dioxyde de soufre ainsi que les émissions de particules lourdes causant des problèmes respiratoires sont aussi en baisse.
Cependant, vous le savez très bien, il y a aussi des indicateurs environnementaux qui se détériorent. Les gaz à effet de serre augmentent, la biodiversité diminue dans le monde et le réchauffement climatique constitue un problème de taille.
Est-ce possible de comprendre pourquoi certains indicateurs s’améliorent et pourquoi d’autres montrent des signes de détérioration ? Afin de bien répondre à cette question, il est crucial de connaître et comprendre les réflexions de deux économistes américains, Simon Kuznets, et Julian Simon. Simultanément, les concepts avancés par ces deux économistes permettent aussi de comprendre quelles sont les meilleures politiques pour aller de l’avant.
Commençons avec Simon Kuznets, qui a remporté un prix Nobel en économie en 1971. Cet Américain mort en 1985 se spécialisait dans la mesure de l’économie et de la croissance économique. Il expliquait, au cours des années 1950, que l’industrialisation allait mener à une augmentation des inégalités au fur et à mesure que les revenus augmentaient. Cependant, après un certain point, les inégalités allaient diminuer. Ainsi est née la courbe de Kuznets, qui prend la forme d’un U renversé. Il n’a pas fallu longtemps pour que certains économistes importent ce concept dans le domaine des questions environnementales. La logique est simple : la richesse permet de se soucier de l’environnement alors que la pauvreté nous condamne à ignorer l’environnement.
Plusieurs exemples démontrent sa pertinence pour des questions comme la transition forestière, la pollution de l’air avec des particules lourdes causant des problèmes respiratoires et la qualité de l’eau. Cependant, la courbe de Kuznets n’est pas suffisante par elle-même puisqu’elle ne semble pas s’appliquer pour les indicateurs de la biodiversité et des émissions de gaz à effet de serre.
Et c’est ici que Julian Simon devient pertinent ! Professeur d’économie à l’Université du Maryland mort en 1998, il s’est fait connaître pour avoir été l’un des premiers à souligner comment le développement économique pouvait aller de pair avec l’amélioration de l’environnement. Dans tous ses travaux, Julian Simon soulignait constamment que les idées étaient des intrants « non rivaux ». C’est-à-dire que la consommation d’une idée ne réduit pas la capacité d’autrui d’en profiter. Ainsi, disait Julian Simon, plus il y a d’individus, plus il y a d’idées qui peuvent bénéficier à tous. Puisque la production d’idées, comme n’importe quelle autre production, est motivée par le profit, une économie de marché était une condition cruciale. Pas d’économie de marché, pas de production d’idées.
Cependant, Simon soulignait souvent une nuance cruciale, qui est souvent ignorée. Tous les problèmes environnementaux, disait-il, sont des problèmes d’externalités : c’est-à-dire que les décisions basées sur des coûts privés n’incluent pas le coût social de ces décisions. Ainsi, l’État a un rôle à jouer afin de réaligner les coûts privés et les coûts sociaux. Cependant, Simon était peu optimiste quant à la capacité de l’État d’accomplir cette tâche. Au contraire, l’État avait tendance selon lui à « divorcer » les coûts sociaux des coûts privés.
Les exemples abondent. Par exemple, il soulignait fréquemment comment, afin de ne pas frustrer les électeurs agricoles, les politiciens étaient froids à la tarification de l’usage de l’eau. En raison de cette subvention cachée, l’État décourageait les investissements visant à augmenter l’efficacité de l’usage des eaux et menait à la surutilisation de la ressource. En fait, le réchauffement climatique constitue la meilleure illustration de ce point de Simon. Plusieurs gouvernements subventionnent indirectement la consommation d’essence en fixant les prix en deçà du prix mondial (la différence étant payée à même les taxes). Ces subventions indirectes affectent environ 25 % de la consommation mondiale d’essence. Les simulations de l’effet de ces subventions suggèrent que, si elles étaient abolies, on pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre de 10 % à 15 % (certains vont aussi loin que 30 %). Pour donner un ordre de grandeur, il s’agit d’environ un septième de l’effort nécessaire pour réaliser le plus ambitieux scénario de réduction des gaz à effet de serre !
Et c’est ici que les idées de Kuznets et Simon se marient : la richesse mène à l’amélioration environnementale sous la condition d’un État qui minimise son intervention aux domaines qui lui sont pertinents. Lorsque des variables de contrôle sont ajoutées pour tenir compte du rôle de l’État, soit en utilisant des mesures de liberté économique, la courbe de Kuznets réapparaît. Plus surprenant encore, ce sont les sociétés avec les scores les plus élevés au titre de la liberté économique qui voient les signes les plus forts d’amélioration environnementale — notamment au titre de la biodiversité.
Il s’agit là de la manière la plus simple d’exprimer l’idée de « l’écologisme de marché ». L’enrichissement de l’humanité (permis par le marché) est un ingrédient crucial de la préservation environnementale. Un peu comme la farine pour un gâteau. Cependant, comme un gâteau a besoin d’œufs, l’enrichissement doit s’accompagner d’un État qui se limite à gérer les externalités. Cet « écologisme de marché », même s’il a mauvaise presse parmi la classe politique et médiatique, ne demeure pas moins le chemin à emprunter pour notre planète.
Vincent Geloso is Associate Researcher at the MEI. The views reflected in this op-ed are his own.